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comme principe scientifique le développement des forces productives. La prohibition n’y figure pas; la protection résultant d’un tarif n’y est point recommandée d’une manière absolue, et elle doit être simplement temporaire. Si l’on suppose qu’une industrie peut s’introduire et prospérer dans un pays, il convient, pour soutenir ses premiers pas, de la protéger contre la concurrence étrangère : on développe ainsi sa puissance productive; mais si, après un certain temps, cette industrie n’apparaît point vivace, ou lorsque, grâce au tarif, elle a acquis une vitalité suffisante, le tarif, inefficace dans le premier cas, inutile dans le second, doit être retiré. Dans ce système, la liberté commerciale demeure la loi naturelle, et la protection n’est qu’un détour par lequel on y arrive nécessairement après un délai plus ou moins long. List ne méritait pas au fond les anathèmes de l’école libérale ; mais comme en définitive il attaquait dans son livre la doctrine du libre-échange pour mieux défendre aux yeux de l’Allemagne un système qu’il qualifiait de national, comme ses articles du Zollvereinblatt concluaient à des augmentations de droits de douane, les libéraux pouvaient le considérer comme un adversaire et le juger sur les résultats immédiats plutôt que sur le principe fondamental de sa théorie.

Au reste, il est essentiel de ne point se méprendre sur le but de l’agitation protectioniste qui, à partir de 1842, se produisit en Allemagne. Voici en quels termes les fabricans du Wurtemberg exprimaient leurs vœux dans une déclaration solennelle du 27 septembre 1843 : « La protection ne doit être que modérée et proportionnée aux besoins, en sorte qu’elle ne porte pas les industriels allemands à la paresse et à l’indolence, soit par des prohibitions absolues, soit par des droits exagérés. » Il y a loin de cette déclaration aux exigences qui, dans d’autres pays et particulièrement en France, ont le verbe si haut. Ces braves fabricans du Wurtemberg, repoussant la prohibition et ne sollicitant que des droits modérés, eussent été accusés de pactiser avec le libre-échange, s’ils avaient émis de telles opinions au sein de la plupart de nos chambres de commerce, et List, champion du régime protectioniste en Allemagne, eût été compris, dans les pétitions de nos manufacturiers, au nombre de ces professeurs d’économie politique que « l’on devait casser aux gages. » Les mêmes mots au-delà et en-deçà du Rhin ne signifiaient donc point les mêmes choses, et c’est une distinction qu’il ne faut pas perdre de vue quand on apprécie les débats qui s’engagèrent en Allemagne sur les questions de tarif. Les principes posés à l’origine par le tarif prussien de 1818 étaient à peu près maintenus. — Augmenter quelques droits, étendre aux produits demi-fabriqués la protection qui était accordée aux produits fabri-