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LA
LEGENDE DES SIECLES
DE M. VICTOR HUGO[1]



Je crois qu’à toute époque et en tout pays les écrivains ont pu se diviser en deux catégories : ceux qui excitaient irrésistiblement la curiosité publique et ceux qui se contentaient de se recommander à l’attention de leurs contemporains. Il y a les écrivains qu’on lit à ses heures, les œuvres nouvelles dont on dit : Je les lirai, mon travail fini, lorsque mes affaires me laisseront un peu de répit. Il y a les écrivains qu’on veut lire dès qu’ils s’annoncent, les livres dont on veut dévorer les pages encore humides, pour lesquels on oublie ses affaires, son travail commencé et jusqu’à ses chagrins. Comptez combien ils sont rares ceux qui ont conquis ce glorieux et enviable privilège! Il y a sans doute dans la possession de ce privilège, M. Victor Hugo doit le savoir mieux que personne, une compensation plus que suffisante pour tous les orages dont on peut être assailli, pour toutes les haines qu’on peut exciter, pour tous les dangers qu’on doit affronter. C’est sans doute une grande volupté pour un écrivain que de pouvoir se dire : Demain ceux qui m’ont aimé m’aimeront encore, ceux qui m’ont haï sentiront se réveiller leur haine, et les indifférens eux-mêmes, ceux qui ne m’aiment ni ne me haïssent, s’arrêteront avec curiosité pour dire : Voyons donc où il en est! Demain, sur toutes ces lèvres que je n’aperçois pas, il y aura bien des sourires d’approbation et bien des grimaces de

  1. 2 vol., Michel Lévy, 1859.