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n’est pas une fée, mais une magicienne. Oui, M. Hugo est un magicien; il ne vit pas fraternellement avec les esprits, il les évoque au moyen de formules savantes et toutes-puissantes. C’est en vain qu’ils voudraient résister, le magicien est leur maître et leur tyran; il faut obéir, sinon il les torturera, il les retiendra captifs, et même au besoin il les condamnera à une prison perpétuelle, les mettra en bouteille, comme il arriva jadis au pauvre Asmodée. Les esprits redoutent le maître, et savent qu’ils doivent tout attendre de cette volonté superbe; ils arrivent donc tremblans devant lui, livrent leurs secrets, accomplissent leur tâche, et s’en retournent épouvantés, avec de grands battemens d’ailes, comme pour fuir au plus vite ce laboratoire d’où partent les invincibles incantations. Maintenant vous expliquez-vous le rôle que joue la volonté dans les œuvres de M. Victor Hugo, les résistances invisibles contre lesquelles il semble lutter, cette exagération de la force qu’il ne daigne pas dissimuler? Tout cela tient à son caractère de magicien.

C’est dans cette science de magicien que réside le secret de la toute-puissance de M. Hugo. Ne lui demandez donc plus pourquoi dans ses œuvres les ténèbres sont si noires et les clartés si éblouissantes; l’arrivée des esprits est toujours précédée d’épaisses ténèbres, et ils opèrent leurs apparitions au milieu d’une lumière qui éclipse l’éclat du jour. Ne lui demandez plus pourquoi son imagination manque de sérénité; le nécromancien qui évoque les ombres et fouille les secrets de la mort a bien le droit d’être sombre. Ne lui demandez pas pourquoi il semble courroucé; il vient de combattre et de châtier les esprits rebelles. S’il vous a paru parfois, à vous ses contemporains, altier et hautain, c’est qu’il avait quelque raison de l’être, ayant brisé les résistances de ces génies qui servirent complaisamment jadis le divin Arioste et le divin Shakspeare. Il peut dire avec fierté, à la manière d’un conquérant et d’un prince : Ils me résistaient, j’en ai fait mes esclaves.

J’essaie de me placer à divers points de vue pour surprendre la nature de ce remarquable talent, comme un amateur curieux tournant autour d’une statue colossale et l’examinant sous toutes ses faces; partout je rencontre les mêmes caractères, la force, la puissance, la volonté. Changeons encore une fois de point de vue. M. Victor Hugo, ai-je dit, est un magicien; mais il n’est pas seulement magicien par la science, il l’est par la nature. Il est né magicien, et l’étude n’a fait que développer en lui les facultés qu’il avait reçues de la nature. Son imagination est naturellement fantastique, c’est-à-dire prompte à être effrayée, éblouie et charmée. Prompte aussi à tyranniser les sens et la raison, le rêve qu’elle conçoit, elle le rejette avec force en dehors d’elle sous forme d’apparition