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et que de bons esprits n’en aient pas déjà été frappés. Dans l’enquête sur la marine, ordonnée en 1849 par une loi et poursuivie pendant deux années sous la ferme et judicieuse présidence de M. Dufaure, des hommes qui font honneur à leur arme, les amiraux Charner et Hernoux, avaient donné à ces institutions, alors naissantes ou en projet, l’appui de leur autorité. Les faits ont confirmé cette opinion, et dans les essais qui chaque jour se succèdent, on peut voir ce qu’y ont gagné les exercices de la mousqueterie et du canonnage.

Une conclusion à tirer de ces faits, c’est que les cadres nouveaux suffisent à une bonne composition des équipages et répondent à toutes les éventualités. On a, pour les marins des classes, les cadres de gabiers et de timoniers, pour les hommes du recrutement, en partage si ce n’est à titre exclusif, les cadres de canonniers, de fusiliers, de chauffeurs et d’aides-mécaniciens. La question du nombre se trouve ainsi écartée ; l’inscription n’en fournit plus le terme unique ; nos flottes puisent dans le réservoir, autrefois restreint, maintenant illimité, que l’on nomme le recrutement. De son côté, l’école des mousses de Brest prépare des titulaires pour la maistrance et forme de bons sous-officiers et officiers mariniers. Dans ces conditions, on a sous la main les équipages nécessaires pour monter le matériel existant et les réserves qui doivent en être l’appui ; bien ménagées, ces ressources peuvent même suffire au matériel en construction et à la flotte de 150 bâtimens à vapeur de combat qui nous sont annoncés pour 1871. On peut donc, sur ce point, attendre les événemens, avec la confiance qu’ils ne nous trouveront pas au dépourvu.

Mais, pour le cadre des officiers, cette confiance ne saurait être la même ; il y aurait imprévoyance à le laisser ce qu’il est et à fermer les yeux sur son insuffisance. Il pourvoit péniblement aux services actuels, et on a pu s’en convaincre à propos des derniers armemens pour la Chine ; Il ne se prêterait pas à des services plus étendus ; il est au-dessous de ce qu’on l’a vu dans des temps où la marine était effacée, et au milieu du développement des autres services militaires il a gardé une décourageante immobilité. Une augmentation dans ce cadre ne pourrait en aucune façon avoir un caractère agressif ; ce n’est qu’une question d’équilibre entre les équipages et les chefs appelés à les commander. Pour rétablir cet équilibre, on ne saurait s’y prendre de trop longue main ; les effets n’en seront pas immédiats, des années s’écouleront avant qu’ils soient sensibles. Un mot plein de sens a été dit par le ministre qui préside le cabinet anglais : c’est qu’en matière de défense chaque état est juge de la conduite qu’il doit suivre et n’a point à se régler sur ce qu’on dit et pense ailleurs. Il est à croire qu’il ne réserve pas à sa nation le bénéfice de ce principe, et que toutes restent maîtresses d’agir dans la mesure de leurs besoins. Ici le besoin est démontré, et nous n’avons pas craint de le mettre en évidence. Nous avons donné au maintien de la paix et à l’alliance qui la garantit des gages si sincères et si multipliés, qu’il nous est permis de signaler ce vide dans notre établissement maritime sans qu’on se méprenne sur nos intentions.


LOUIS REYBAUD.


V. DE MARS.