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leur ineffable beauté. Et pourtant il est quelque chose de plus beau encore que la nature, de plus beau que l’art, de plus beau que la science, c’est l’homme plus fort que la douleur et affirmant sa supériorité sur le sort. Ce qui est beau de la beauté suprême, c’est la résignation courageuse et l’espérance indestructible, c’est le devoir accompli malgré les révoltes de la chair, au prix du bras qu’on se coupe et de l’œil qu’on s’arrache, c’est l’homme calomnié, méconnu, qui conserve sa joie en marchant vers le but que sa conscience lui montre. Sans la douleur, sans l’adversité imméritée, inique, irrationnelle, nous serions privés de l’élite de l’humanité ; la terre aurait perdu son sel. Sans la douleur, nous n’aurions ni martyrs, ni vrais poètes. Sans la douleur, nous n’aurions pas le Christ. En vérité, nous pouvons désormais abandonner la question aux disputes de la métaphysique : tout ce que nous savons, c’est que sans la douleur le monde serait privé de ce qui fait sa beauté la plus haute.

Nous croyons avoir montré le vrai caractère de la renaissance religieuse qui se continue en France après avoir commencé en Allemagne et en Angleterre. On dirait que le XIXe siècle est appelé à reproduire les traits les plus caractéristiques de cette époque de préparation qui ouvrit la barrière de l’histoire moderne. Le XVe siècle, comme le nôtre, fut un siècle de transformation politique et sociale. Ce fut aussi un siècle d’inventions changeant la face du monde et préparant le règne de l’esprit par l’asservissement de la matière. Nous avons la vapeur, il eut l’imprimerie ; nous avons la télégraphie électrique, il eut la boussole ; nous avons les chemins de fer, il eut les postes. Nous avons découvert et colonisé l’Australie, nous démolissons les vieilles murailles en Chine et au Japon ; il découvrit et colonisa les Indes et l’Amérique. Nous avons retrouvé le sanscrit et les vieilles langues de l’Asie ; il retrouva le grec et l’hébreu. Et ce qui achève la ressemblance, c’est qu’alors comme aujourd’hui des voix nouvelles se faisaient entendre au septentrion et au midi, à l’orient et à l’occident, qui prophétisaient les temps nouveaux. Le souffle de l’Esprit agitait les âmes, et l’on se mettait à étudier avec une curiosité ardente les monumens des âges inspirés, on en savourait les beautés toujours jeunes dans leur vénérable vieillesse, on avait en quelque sorte un sens nouveau pour comprendre l’antiquité, et l’on y puisait de l’énergie pour le présent, de la confiance pour l’avenir. Au fond du cœur de tous était le sentiment qui faisait dire à Ulrich de Hutten, contemplant tout joyeux le beau printemps du XVIe siècle : « Les études fleurissent, les esprits se réveillent, c’est un plaisir de vivre ! »


ALBERT REVILLE.