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D’autres bandes ont franchi la Méditerranée et pénétré de Barbarie en Italie. De véritables bancs de chenilles ont tenté de passer des rivières ; des papillons se sont montrés par milliers sur certaines côtes, après avoir franchi la mer. Cependant ces cas sont rares et peuvent être considérés comme des perturbations dans les grandes lois de la distribution zoologique. D’ordinaire les animaux se déplacent moins soudainement ; ils avancent ou reculent selon les changemens atmosphériques ; ils règlent dans chaque contrée leur habitat sur la nature des lieux et le climat. Voilà pourquoi une espèce qui, dans les régions boréales, fréquente les plaines, se retrouve dans les montagnes des contrées plus méridionales. Ainsi le beau papillon appelé Parnassius Apollo vit en Suède dans les lieux plats et sur la pente des collines, et dans les Alpes, les Pyrénées, l’Himalaya, il se tient à de grandes hauteurs, car il y retrouve la température des plaines de la Suède. Un autre insecte, le carabits auratus, qui voltige dans nos plaines, ne se rencontre en Italie que sur les plus hautes montagnes.

L’aire qu’occupe chaque espèce dépendant surtout des conditions climatologiques auxquelles sont liés les moyens d’alimentation et de propagation, elle s’agrandira ou se rétrécira suivant les changemens de la température et ceux de la végétation, suivant l’aspect nouveau que prendront les lieux. De nouvelles cultures chasseront tel animal d’un pays et y appelleront tel autre. Le dessèchement des étangs ou l’altération des eaux en troublera la population ichthyologique. L’arrivée ou le départ de certaines espèces déterminera l’apparition ou la disparition des espèces carnassières qui en font leur proie. Depuis qu’on a multiplié dans le bassin de Paris les plantations de pins, on y trouve la lamia œdilis, insecte du nord de l’Europe, qui était auparavant tout à fait étranger à nos pays. Audubon, le grand ornithologiste américain, a remarqué que l’extension des cultures et toutes les révolutions qu’elle entraîne dans le Nouveau-Monde avaient modifié les migrations de certains oiseaux, les avaient rendues plus fréquentes et plus lointaines ; les oies, les canards, les pélicans, vont chercher aujourd’hui dans le nord des localités où ils puissent élever leurs petits, quand auparavant ils restaient dans des régions moins septentrionales que l’homme n’avait point encore rendues inhabitables pour eux. De tout cela résultent des migrations qui s’opèrent sans cesse sous nos yeux, des déplacemens progressifs qui tendent à une distribution sinon nouvelle, au moins notablement distincte de celle des siècles derniers.

L’aire d’un animal est d’autant plus étendue sur le globe, que son alimentation est moins exclusive, son organisation plus flexible et plus propre à se modifier selon les climats, ses habitudes moins