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des faunes radicalement tranchées, et l’on passe en réalité par degrés insensibles d’une faune à une autre. Des genres, des espèces identiques se retrouvent sur de vastes continens et n’offrent d’une région à l’autre que des différences qui ont tout le caractère de variétés locales dues à des influences particulières. Par exemple le chacal du Cap (canis mesomelas) est remplacé dans les parties septentrionales de l’Afrique par une variété à teinte claire n’ayant pas de noir sur le dos (canis variegatus) ; le daman et le zorille du Cap ne diffèrent de ceux du nord de l’Afrique que par des teintes plus prononcées ; la genette du Cap, qui habite aussi l’Espagne, est remplacée au Sénégal et en Abyssinie par une variété à teinte plus pâle. Au lieu de l’ichneumon d’Égypte, on trouve à la pointe australe de l’Afrique une variété locale à pelage plus foncé. Chaque contrée a aussi en Afrique sa variété propre d’antilope. Notre corbeau est remplacé aux îles Féroë par une variété à teinte mêlée de blanc. On pourrait multiplier indéfiniment de tels exemples.

Les régions de la terre présentent des différences plus tranchées quand on se déplace par latitude que lorsqu’on marche en longitude ; il en résulte un effet corrélatif dans la variation des espèces. Si l’on passe au-delà de l’équateur, on ne trouve pas toujours sous les zones australes les mêmes genres, et, à plus forte raison, les mêmes espèces que sous les zones boréales correspondantes, bien que l’ensemble des caractères zoologiques apparaisse le même. Les analogies des genres et des espèces sont beaucoup plus frappantes quand on procède par longitudes isothermales. Ce ne sont plus seulement des genres voisins ou identiques que l’on rencontre, mais des espèces souvent absolument semblables.

Les variations des caractères spécifiques sont à la fois si multiples et si diverses dans leur étendue, qu’il est parfois difficile de décider si l’on a devant les yeux des espèces nouvelles ou de simples variétés locales. Aussi les naturalistes sont-ils loin de s’entendre sur le nombre des espèces, et tandis que les uns n’en reconnaissent qu’un petit nombre, d’où ils font dériver une foule de variétés, les autres créent incessamment de nouvelles espèces, et subdivisent les races animales à l’infini. Cette incertitude ajoute aux difficultés de la géographie zoologique et entrave la solution de bien des questions d’origine indispensables à décider, si l’on veut avoir une idée exacte du mode de distribution des créatures. Plus on multiplie les espèces, plus on est entraîné à admettre de nouveaux centres de création, et moins on accorde à l’action modificatrice du climat et des lieux, dont l’influence est cependant incontestable.