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en peu de temps la désolation dans la région qu’ils habitent. Tel est le lynx, maintenant chassé de nos montagnes et que nous ne voyons plus qu’à travers les barreaux d’une cage contre laquelle il exécute des sauts furieux. M. F. de Castelnau estimait dernièrement que dans la seule petite île de Singapour, les tigres faisaient par an, en moyenne, sept cents victimes. Qu’on juge de ce que ces carnassiers ont dû détruire d’animaux herbivores, quand leur espèce était partout multipliée. Et les espèces herbivores se livrent elles-mêmes des luttes terribles qui font beaucoup de victimes ; le rhinocéros est l’ennemi juré des éléphans, et les girafes, en apparence si douces, s’attaquent souvent à coups de corne avec tant de violence que l’un des adversaires succombe fréquemment.

Ces combats, où les animaux se disputaient peut-être aussi une proie ou un pâturage, ont pu graduellement réduire le nombre des individus, et il a suffi ensuite d’une disette ou d’un grand froid pour amener l’extinction définitive de la race. C’est ainsi qu’on voit les tamanoirs périr dès que les fourmis viennent à manquer, et des troupes entières d’oiseaux voyageurs tomber sans vie, épuisés par la fatigue et la faim. Vinrent aussi les courans impétueux qui se formaient pendant la période quaternaire : l’animal était asphyxié par l’immersion prolongée dans la vase que charriaient ces torrens. C’est de la sorte que paraissent avoir péri les éléphans et les autres grands mammifères dont les ossemens se rencontrent en abondance dans les îles, aujourd’hui presque inhabitables, de Lachow et de la Nouvelle-Sibérie. Quelques-uns des squelettes d’éléphans qu’on a déterrés sur le littoral de la Mer-Glaciale étaient encore debout. Un savant Allemand, M. Brandt, a cru reconnaître, d’après l’état des vaisseaux sanguins de la tête du rhinocéros tichorhinus de Vilui, que l’animal avait dû périr par une asphyxie due à l’immersion. Ainsi ces grands pachydermes, qui broutaient les branches des arbres dont était jadis couverte la Sibérie, comme l’indiquent les restes de nourriture incrustés dans les cavités de leurs dents, ont subsisté sous un climat boréal jusqu’à ce que l’invasion des eaux et du froid ait fini par les faire disparaître. Longtemps sans doute le long poil dont ils étaient couverts, et que l’on distingue encore sur leur peau, conservée par la glace, les défendit contre la rigueur croissante du climat ; mais il vint une époque où les conditions d’existence leur manquèrent absolument, et c’est alors que leur extinction fut complète. Il en a été sans doute de même pour bien d’autres animaux. L’abaissement extrême de température tue les larves des coléoptères réfugiées dans le sein de la terre ou des végétaux ; il engourdit graduellement les reptiles et peut amener leur mort.