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peuples indo-européens. M. Ad. Pictet, qui porte un nom cher à la paléontologie, a substitué à l’observation des fossiles celle des radicaux sanscrits. Dans son ouvrage sur les Origines indo-européennes, il a réussi à retrouver le berceau des espèces domestiques, en prenant pour guide l’étymologie ; mais, comparées à celles qui avaient émigré plus anciennement et qui émigreront dans l’avenir, ces espèces venues de l’Asie ne s’offrent qu’en petit nombre, et la philologie comparée des autres familles de langues fournirait peut-être de nouvelles lumières sur le problème auquel M. Ad. Pictet a tenté d’appliquer un si ingénieux moyen de solution.

Jadis ce furent surtout des causes physiques qui déterminèrent les révolutions par lesquelles les espèces furent contraintes de chercher une nouvelle patrie. De nos jours, c’est l’homme qui est le principal agent de transport et de destruction des animaux. Il s’est substitué en cela à la nature, et il refait peu à peu la demeure au sein de laquelle il a pris naissance. Un ordre particulier de phénomènes sortira de cette action incessante de l’humanité sur le sol et la création ; dans les âges futurs, au lieu du jeu fatal et irrésistible des forces cosmiques, on verra agir l’intelligence qui transforme, modifie et combine, qui fait servir les principes immuables des choses à la production d’effets nouveaux. Il semble que les premières époques géologiques n’aient été qu’un long prélude du drame qui est commencé seulement depuis quelques siècles, qu’une œuvre préparatoire dont l’objet était de permettre à l’humanité d’asseoir son empire. Maître de la terre, l’homme, ce roi des animaux, tend maintenant à effacer les vestiges de l’état primitif où était le globe à son apparition ; il en change la faune et la flore ; il fait naître artificiellement des variétés qu’il perpétue par la culture ou l’éducation ; il détruit tout ce qui est spontané et primitif ; il veut pour ainsi dire que rien ne pousse que par ses mains, que rien ne vive hors de sa dépendance. Fier de sa destinée et comme honteux de son origine, il anéantit cette nature sauvage et effrayante, mais grandiose et énergique, au milieu de laquelle il fut jeté, frêle et misérable créature ; il lave les dernières taches qu’il garde encore du limon dont Dieu l’a pétri !

Ainsi rien n’est immuable dans l’univers. Il n’y a de permanent que les lois qui le régissent. Des effets toujours nouveaux résultent de leur action continue. Si la paléontologie nous montre que des créatures nouvelles ont graduellement remplacé celles qui avaient disparu, la géographie zoologique nous apprend que la distribution des espèces animales, qui a tant de fois changé, sera soumise encore à bien des vicissitudes.


ALFRED MAURY.