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l’instinct maternel l’avertit du danger. Elle élève chaque jour une barrière nouvelle entre Mary et le jeune étourdi. Écoutons James s’en plaindre. En vrai marin, il conquiert l’entrevue qu’on a voulu lui interdire : il pénètre dans la chambre de Mary par la fenêtre du jardin, prend un baiser comme à-compte, et exhale ensuite tout son ressentiment. La tante Katy l’a tenu à distance depuis qu’il est revenu, et qu’a-t-il fait pour cela ? Depuis qu’il est entré au port, n’a-t-il pas été à tous les offices, à toutes les explications, à tous les sermons, aussi régulièrement qu’un livre de psaumes ? Et pourtant jamais il n’a pu échanger un mot avec Mary : il n’a pas même eu la chance de lui donner le bras. C’en est trop ! Quel est le motif de cette persécution ? Que peut-on dire contre lui ? N’est-il pas toujours venu voir sa cousine depuis l’époque où elle était haute comme la main ? N’est-ce pas lui qui la conduisait à l’école dans son traîneau ? N’allait-il pas la chercher à la classe de chant ? N’avait-il pas toujours été libre d’aller et de venir dans la maison, comme s’il eût été le frère de Mary ? Et maintenant la tante Katy est là, raide et guindée, et elle ne bouge pas de la chambre une minute, tant qu’elle l’y voit, comme si elle redoutait de sa part un mauvais coup. « En vérité, s’écrie encore une fois le pauvre James, c’est par trop fort ! »

Mais James a tort de se plaindre : Mary le lui démontre pertinemment. Ne mérite-t-il pas toute la sévérité qu’on déploie à son égard ? N’est-ce pas très mal à lui d’aller à l’office uniquement pour la voir, et non pour entendre le docteur Hopkins, qui fait de si excellens sermons ? Encore si le méchant entêté voulait se convertir, et se convertir pour l’amour de Dieu, non pour l’amour d’elle, ce qui n’est qu’un péché de plus ! Bref, Mary le gronde, Mary le prêche, Maiyle prie, Mary lui donne sa Bible : la pauvre enfant lui donnerait son cœur, si la chose n’était déjà faite. Mistress Scudder apprend bientôt de la bouche même de sa fille la visite de James ; quelques questions adroitement faites lui révèlent que le mal qu’elle a voulu prévenir est accompli, que cet amour qu’elle voulait empêcher de naître consume à son insu l’enfant qu’elle croyait en avoir préservée. Elle ouvre les yeux à Mary, elle fait ressortir l’indignité de cette affection si mal placée ; elle recommande la prière et le travail, et elle croit avoir écarté le danger. La visite de James était une visite d’adieu ; il part pour trois années, et que de choses peuvent se passer en trois ans ! que de changemens s’accomplissent en moins de temps dans une tête de jeune fille ! Les absens ont tort, Mary oubliera, et les projets que James a failli faire échouer pourront encore s’accomplir. Erreur commune à bien des gens sages ! Quand un cœur bien épris a-t-il oublié, surtout dans un roman ?


« L’excellente enfant s’était souvenue des paroles sur lesquelles sa mère