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s’en souviendrait comme de toutes ses autres fautes, et qu’elle n’a aucun souvenir de ce genre ; mais elle croit à massa Jimes, à sa beauté et à sa bonté, à ses vertus, à sa foi, à son mariage avec Mary et à sa rédemption, à son bonheur dans ce monde et dans l’autre. Pour lui, Candace sacrifierait tout, non-seulement le docteur qu’elle révère, mais même son mari Caton, ce petit être enrhumé dont elle ne peut se passer.


« Candace était une négresse, grande, vigoureuse, corpulente, lourde, qui s’avançait avec la majesté d’un navire entrant à pleines voiles dans le port. Le lustre brillant de sa peau noire et l’éclat de ses dents blanches indiquaient la plénitude d’une vigueur physique qui n’avait jamais connu un jour de maladie. Son turban de soie rouge et jaune rehaussait encore les nuances tropicales de son teint. Caton au contraire était un nègre petit et maigre, à la voix douce, affligé d’un petit rhume chronique, bon et fidèle serviteur, mais qui, aux côtés de sa moitié, ressemblait à un plant de pommes de terre ombragé par un pommier. Candace avait pour lui une tendresse véhémente et pleine de protection. Elle considérait un mari comme une chose dont il fallait prendre soin, un enfant gâté, privé de raison et quelquefois gênant, qu’il fallait tenir en belle humeur, soigner, nourrir, habiller et mettre dans son chemin ; un être qui était toujours en train de perdre ses boutons, de gagner des rhumes, de mettre tous les jours son plus bel habit et d’arborer subrepticement dans la semaine son chapeau des dimanches. Cependant elle daignait parfois exprimer l’opinion qu’après tout un mari était une bénédiction, et qu’elle ne saurait que faire sans Caton. À vrai dire, il satisfaisait pour elle ce qui est le plus grand besoin de la femme, il était l’occupation de sa vie. Elle blâmait très énergiquement la conduite d’une de ses amies, nommée Jenny, qui, après avoir obtenu sa liberté, avait travaillé plusieurs années pour acheter celle de son mari, mais qui était devenue si dégoûtée de son acquisition, qu’elle déclarait ne plus vouloir acheter de nègre. — Jenny ne sait pas ce qu’elle dit. Supposons qu’il tousse et la réveille la nuit, et qu’il en prenne quelquefois un peu plus qu’il n’en peut porter : cela ne vaut-il pas mieux que de n’avoir pas de mari ? On ne saurait pas pourquoi l’on est au monde, si l’on n’avait pas un vieil homme à soigner. Les hommes sont naturellement idiots sur bien des choses, mais ils valent encore mieux que rien.

« Et Candace, après cette remarque obligeante, prenait d’une main et portait comme une plume un immense cuvier dans lequel le pauvre Caton se serait noyé. »


Le meilleur avocat de James, c’est encore le cœur de Mary : ce cœur résiste à tout, aux belles et grandes qualités du docteur, à son dévouement, même aux persécutions dont le saint homme est devenu l’objet.


« Ah ! si l’on pouvait supprimer cette influence mystérieuse et infatigable qui fait de ce marin étourdi, errant et peu dévot, une partie intime de son être ; si le fil de sa vie n’était point enlacé à sa propre existence, et sans