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vrai que mon cœur était complètement en son pouvoir ; mais pourquoi ? Parce que je l’adorais comme un être divin, incapable d’une action déshonorante, incapable d’égoïsme, incapable même d’une pensée qui n’eût pas été parfaitement noble et héroïque. S’il avait été réellement ce que je le croyais, j’eusse été fière d’être une pauvre petite fleur destinée à perdre tout son parfum pour lui donner une heure de plaisir. J’aurais offert toute ma vie à Dieu pour cette âme glorieuse… Et pendant ce temps qu’étais-je pour lui ? Un jouet, un passe-temps, un instrument pour ses projets ambitieux. Oh ! il ne me connaît pas ; un noble sang coule dans mes veines, nous sommes d’une grande race, nous pouvons tout donner, mais il faut que ce soit pour un Dieu l »


Nous ne voulons pas juger la théorie de Mme Stowe : pour notre part, nous n’inclinons à raffiner sur rien, pas plus sur l’amour que sur la religion. Mme de Sévigné demandait aux mystiques de son temps de lui épaissir un peu la religion, de peur qu’elle ne s’envolât toute : nous demanderions volontiers à Mme Stowe de nous matérialiser un peu l’amour, au moins pour notre sexe. Il est sans doute très flatteur d’être le représentant de l’idéal, mais c’est un rôle que personne ne peut prétendre à jouer longtemps. Quelle toiture pour un pauvre homme que la continuelle appréhension de voir son indignité éclater et les yeux de sa belle s’ouvrir sur ses imperfections ! Qui sait d’ailleurs quelles formes l’idéal pourrait revêtir dans une imagination moins bien réglée que celle de Mary Scudder ?

Les amours de Virginie de Frontignac et d’Aron Burr ont failli nous gâter le livre de Mme Stowe. On ne saurait imaginer d’épisode plus malencontreux ni d’échec plus complet. En mettant en scène le Lovelace américain, Mme Stowe s’est crue dispensée de tous frais d’invention. Il ne suffit pas de baptiser un personnage d’un nom historique pour le rendre, séduisant et lui donner la vie. Ici le conquérant irrésistible n’est qu’un pédant et un niais, qui se laisse éconduire comme un sot par une fille de dix-huit ans. Quant à la marquise : qu’il veut perdre, cet échantillon du faubourg Saint-Germain a les grâces, l’esprit et le langage d’une chambrière.

Nous donnerions une idée très incomplète de la Fiancée du Ministre si nous n’ajoutions quelques mots de la thèse de théologie, que l’auteur a mêlée à toute la fable de son livre. Ceux qui ont lu attentivement les ouvrages précédens de Mme Stowe ont pu voir que les principes que l’écrivain invoque en faveur des nègres, et d’après lesquels il fait agir ses personnages de prédilection, peuvent se ramener à ceux-ci : l’égalité absolue de tous les hommes quant à leurs droits et à leur destinée future, le devoir de la bienveillance universelle, enfin la réconciliation future de tous les êtres créés. Ces principes sont ceux de la secte des universalistes, dont le dogme