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dans son application plutôt que dans son principe a été écrite par un des hommes qui ont le plus contribué à ce grand résultat. En présentant une analyse de l’ouvrage de sir George Nicholls, nous essaierons de compléter cette étude par des appréciations générales et par des détails empruntés à l’Histoire populaire de M. Charles Knight, qui obtient aujourd’hui en Angleterre un légitime succès. Les amendemens successifs d’une mauvaise loi renferment tant d’enseignemens que, si la connaissance en eût été répandue en France quand les questions économiques s’y sont agitées en 1848, on eût immédiatement reconnu aux résultats d’une expérience séculaire les vices radicaux de doctrines prétendues nouvelles. Puisque l’égalité des salaires, le droit au travail et le droit à l’assistance ont encore des partisans en France et ailleurs, il serait bon que les esprits sincères qui conserveraient encore quelques illusions à l’endroit de ces théories consentissent à en méditer les conséquences, telles qu’elles ressortent à chaque page de l’histoire de la loi des pauvres en Angleterre.


I

Il y avait sans doute des pauvres parmi les Anglo-Saxons, mais ils formaient la classe la moins nombreuse de la nation. Les deux tiers de la population se composaient d’esclaves descendant en partie des Kymris ou Bretons dépossédés par la conquête ; le reste comprenait les grands et les petits propriétaires, les corls et les ceorls, descendans des nobles et des roturiers qui se partageaient la possession des domaines. Les roturiers, désignés aussi sous le nom de churls, avaient dans l’assemblée nationale un représentant qu’on appelait le roi des paysans. On conçoit que, dans une société ainsi organisée, il y eût peu de place pour cet état de détresse qui, dans les sociétés modernes, porte tant de malheureux au vol, au vagabondage et à la mendicité. La loi, dans son terrible laconisme, n’épargnait personne au-dessus de douze pence volés et de douze ans d’âge. La conquête normande dépouilla une grande partie des propriétaires saxons et soumit l’Angleterre aux obligations les plus rigoureuses du système féodal. Elle supprima la classe des cliens, augmenta dans une grande proportion celle des esclaves, et donna naissance à une catégorie d’individus numériquement importante, bien qu’elle ne figure pas sur le fameux Domesday book conservé dans la salle du chapitre de Westminster : ce fut celle des outlaws, ou gens hors la loi, qui, réfugiés dans les forêts et les montagnes, protestèrent par le brigandage contre la domination étrangère. Les outlaws de l’Angleterre conquise furent pendant près de deux siècles