Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville ou paroisse. Par un autre statut de 1536, toutes les maisons religieuses d’un revenu annuel de moins de 200 livres furent supprimées, leurs biens donnés au roi, et leurs membres envoyés dans les divers grands monastères du royaume, où grâce à Dieu, disait le rapport des commissaires chargés de la visite de ces établissemens, la religion est bien et dûment observée. Nonobstant ce témoignage, en 1539, un statut supprima tous les monastères, sous le prétexte mensonger que les supérieurs avaient sans contrainte, et de leur propre volonté, depuis le 4 février 1536, assigné leurs possessions au roi, et renoncé à tous les titres qu’ils y pouvaient avoir. Par la suppression des établissemens monastiques et du célibat religieux, 150,000 existences furent rendues à la vie mondaine. Ainsi d’un seul coup Henri VIII multipliait les sources de la population et tarissait celles de la charité. Ce statut ne put suppléer à la distribution quotidienne de ces revenus des couvens, de ces biens légués aux pauvres et confisqués au profit de la couronne et de ses favoris. Les indigens prirent de force ce que l’aumône ne leur donnait plus, et le fondateur de l’église anglicane fit périr par la potence 70,000 de ses sujets, ce qui ferait 2,000 par an, sur une population de 4,500,000 âmes, si les exécutions s’étaient également réparties dans toute la durée du règne ; mais le plus grand nombre de ces supplices eut lieu dans les quatorze années qui suivirent la suppression des monastères. Le pauvre, il ne faut pas s’en étonner, rendit le mal pour le mal, et, s’attaquant également aux propriétés et aux personnes, fit à la civilisation une guerre acharnée. Les mieux inspirés allèrent demander à la France, à l’Allemagne, à l’Afrique et même aux Indes les moyens d’existence que leur patrie leur refusait. Ce fut le commencement d’un mouvement d’émigration toujours croissant sous l’influence de la même cause, l’indigence, et parvenu de nos jours à des proportions extraordinaires.

Les progrès de l’agriculture, de l’industrie et du commerce devaient offrir aux travailleurs des ressources nouvelles ; mais en même temps les circonstances s’opposaient à ce que les artisans nomades et vivant au jour le jour d’un travail incertain devinssent des ouvriers habiles et capables de soutenir la concurrence. Le système exclusif suivant lequel les artisans des villes s’étaient groupés en castes, les conditions rigoureuses de l’apprentissage et des guildes interdisaient au vagabond tout emploi dans ces corporations industrielles. Les travaux de la campagne ne lui étaient pas plus accessibles. Approchait-il du seuil d’une ferme, la porte était fermée à double barre, et on lâchait le chien de garde. Le fermier avait ses gens à lui de père en fils ; son étang nourrissait des anguilles et