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riches par la révolution française, on imposa à toutes les paroisses de l’Angleterre et du pays de Galles des obligations non moins préjudiciables aux véritables intérêts des ouvriers et des maîtres. Un statut de George III assura le bénéfice de l’assistance à tous les artisans tombés malades dans leur domicile, ou qui, venant à manquer d’ouvrage, ne voudraient cependant point entrer au workhouse. Dès lors, l’entretien de quiconque se déclarait sans moyens d’existence devint une pratique générale et la source d’abus toujours croissans.

Dès 1788, un bill présenté par sir William Young dans l’intérêt des paysans sans ouvrage pendant l’hiver autorisait les vestrys, ou assemblées paroissiales, à lever des taxes exceptionnelles pour cette saison et à envoyer les journaliers chez les paroissiens, les deux tiers des salaires devant être payés par le maître et l’autre tiers par la caisse des pauvres. Les travailleurs allaient ainsi de ferme en ferme par groupes où l’on comptait jusqu’à quarante individus. S’ils n’étaient pas employés, ils recevaient de la paroisse un salaire pour ne rien faire. C’était ce qu’on appelait le système des ouvriers routeurs [roundsmen). Si cet usage avait pu prévaloir avant la promulgation du statut de George III, il devait naturellement se généraliser après la sanction illimitée donnée par cet acte à l’assistance éventuelle des ouvriers indigens. Les vestrys des paroisses rurales se montraient bien disposées en faveur d’une pratique dont elles recueillaient les avantages immédiats et dont les conséquences les touchaient fort peu, car les fermiers, dont se composait la majorité de ces assemblées, avaient ainsi leur besogne faite à peu de frais, une partie étant payée par le boutiquier, le commerçant, l’artisan, le curé, en un mot par toute la communauté.

Comme si l’on avait craint qu’il manquât quelque chose à la démoralisation des artisans des villes, on voulut, en renouvelant des lois tombées en désuétude, charger la magistrature de fixer les salaires. Pitt s’y opposa, parce que sa sollicitude pour les classes pauvres y voyait plutôt un moyen d’armer les chefs d’industrie contre les coalitions d’ouvriers qu’un remède à la disproportion entre le prix de la main-d’œuvre et celui des denrées alimentaires. « Le commerce, l’industrie et l’échange, disait-il, prendront toujours leur niveau, et des règlemens ne pourraient que les entraver dans leur cours naturel. » D’un autre côté, le grand ministre le sentait bien, les bons effets qu’on pouvait attendre des conventions librement débattues entre la demande et l’offre du travail étaient en partie neutralisés par cette loi de domicile qui empêchait l’artisan d’aller chercher les localités les plus favorables à son aptitude. Pitt demanda, sans pouvoir l’obtenir, l’abolition de ce reste de servitude