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noncerait, à moi : eh bien ! il m’a parlé de vous avec affection, sans pourtant me dire un mot de mariage, et voilà ce qui m’étonne. Il est encore si faible que je n’ai pas voulu le questionner ; mais j’imagine bien que vous aviez sa parole avant de passer trois nuits à son chevet ?

— J’avais son assentiment, je vous l’ai dit.

— Oui, mais vous ne m’avez pas dit que sa fille eût donné le sien ? Vous l’a-t-elle donné ?

J’éprouvai encore une fois combien les préliminaires et les négociations du mariage sont choses indélicates et cruelles. Il me fallait donc, pour justifier mon amour, trahir celui de Love, raconter les circonstances de son premier baiser, les livrer aux commentaires d’un tiers, enfin effeuiller brutalement la première fleur de mon espérance !…

Et d’ailleurs une terreur soudaine s’emparait de moi… Était-ce bien un baiser d’amour que j’avais reçu ? Et si ce n’était qu’une effusion de reconnaissance naïve, un enthousiasme fraternel né de l’adoration filiale ?… Au fait, elle ne m’avait pas dit, elle ne m’avait pas prouvé autre chose ! J’allais donc trahir la sainte confiance d’une âme pure et me vanter, comme un sot et comme un lâche, au risque de compromettre l’honneur de celle que, comme frère ou comme fiancé, j’avais le devoir de défendre ?

Je baissai la tête et ne répondis rien.

— Diable, diable ! reprit M. Louandre, vous n’êtes pas si avancé que je croyais, et je crains, mon cher comte, que vous n’ayez fait un coup de tête en vous livrant à votre cœur.

— Avez-vous quelque raison de croire ce que vous dites ? Expliquez-vous.

— Je me suis expliqué en vous disant que le père ne s’expliquait point. Et puis il y a une autre circonstance,… une misère, si vous voulez… Tenez, ajouta-t-il en dirigeant mes regards vers le parterre où le petit Hope se promenait, les mains derrière le dos et la tête penchée en avant ; voyez l’attitude mélancolique ou méditative de cet enfant ! Tout à l’heure il était là, parlant et souriant avec moi comme tout autre individu de son âge. Tout à coup il a regardé là-bas, du côté de la grille, et il vous a vu arriver. Alors, prenant sa casquette de l’air d’un homme fier et dépité, il m’a dit : « Pardon ! voilà une visite qui n’est pas pour moi. » Et il est sorti pour ne pas vous voir, sans s’expliquer autrement ; mais plus je médite en moi-même sur ces étranges paroles, moins je les interprète en votre faveur, et je les livre à vos propres commentaires.

— Cet enfant ne m’aime pas, m’écriai-je, je le vois, je le sens ! Peut-être quelque valet lui aura-t-il fait entendre que ma présence