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des âmes le sentiment de l’indépendance nationale et le culte de la liberté, ce n’est pas nous assurément qui blâmerons cette conduite ; serait-il aussi sage d’en faire un instrument de guerre contre la France ? Schiller a été à la fois le poète de la patrie et le poète du genre humain ; en ne fêtant que le premier, prenez garde de dénaturer cette grande figure. Son inspiration si profondément allemande, est aussi profondément cosmopolite. La meilleure façon d’honorer le peintre du marquis de Posa, c’est de maintenir au-dessus des hasards de la politique les principes éternels du juste, et de propager comme lui le sentiment de la vie individuelle, le respect de l’indépendance des nations, le culte de la diversité dans l’unité, c’est-à-dire, sous toutes ses formes, l’amour de la liberté véritable. Défiez-vous de ces vanités nationales, de ces prétentions exclusives qui compromettent les meilleures causes. Le poète de Don Carlos et de Guillaume Tell, abaissant les barrières des états, prêchait la virile union des cœurs de bonne volonté ; c’est pour cela que l’Angleterre et la France répondent cordialement aujourd’hui à toutes les voix allemandes qui glorifient le nom de Schiller.

Saint-René Taillandier

UN HISTORIEN RELIGIEUX À CAMBRIDGE[1]


Depuis les jours où la théologie effrayée recourait contre les premiers savans à l’argument du bûcher, depuis ceux même où, avec un reste de frayeur, elle se décidait à étudier, elle aussi, pour répondre et trouver un côté faible à ses adversaires, la position de la foi vis-à-vis de la science a beaucoup changé. Maintenant les croyans étudient sans peur, du moins dans l’église protestante, et ils ne s’en tiennent même plus à l’humble rôle de défendeur ; ce seraient eux plutôt pour le moment qui prendraient l’offensive. La nouveauté des découvertes accomplies par l’érudition historique et l’imperfection inévitable de ces premières connaissances avaient, il faut l’avouer, étrangement exalté les savans : faute d’un examen suffisant, ils donnaient à leurs documens une certitude et une portée qu’ils étaient loin de pouvoir justifier, et la critique surtout, ce qu’on nomme ainsi depuis quelque temps, s’était prise, avec une bien naïve vanité, pour l’incarnation même de la raison et de la vérité. Cependant toutes les conclusions hâtives qui s’étaient bâties sur des données mal analysées, toutes les affirmations trop entières qui s’étaient présentées comme des jugemens tandis qu’en réalité elles n’étaient que des préjugés, n’ont pas eu besoin de se dresser longtemps au soleil pour que l’esprit de contradiction qui s’était exercé contre la foi s’exerçât aussi contre elles, et fît de larges brèches à leurs fondations : à son tour, c’est la critique qui a été convaincue de crédulité, et cela en grande partie par les travaux des théologiens. De bonne foi, on ne peut que s’applaudir de ce débat. L’histoire des peuples anciens n’est qu’un thème de belles spéculations, spéculations fécondes sans doute, spécula-

  1. Christ and other Masters (Christ et d’autres Maîtres), enquête historique sur quelques-uns des parallélismes et des contrastes principaux qui existent entre le christianisme et les systèmes religieux de l’ancien monde, par Charles Hardwick ; Cambridge, Macmillan and C°, 1859.