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de la France. L’été n’y dure guère plus de deux mois, et le printemps est horrible. Le terrain sablonneux qui se resserre à la pluie rend cependant les communications faciles quand les neiges sont fondues. Aussi je marchais vite pour me réchauffer, et j’espérais être bientôt arrivé à une maison de paysans dont j’avais souvenance pour y avoir quelquefois mangé à la chasse. Je mourais de faim, et j’avais grand besoin de sommeil.

Mais une portion de forêt récemment coupée et absolument impraticable me força de chercher un détour. Je marchai encore une demi-heure et fus contraint de m’arrêter, épuisé de lassitude. Je m’étais complètement perdu. J’entendis la cloche d’un troupeau de vaches et me dirigeai de ce côté. L’enfant qui les gardait eut une telle peur de ma barbe qu’il s’enfuit en laissant son petit sac de toile où je trouvai du pain et une sébile de bois. Je m’emparai du pain en mettant une pièce de cinq francs à la place. Les vaches se laissèrent traire dans la sébile, et, après avoir satisfait ma faim et ma soif, je cherchai un coin découvert pour m’étendre au soleil, car j’étais beaucoup plus pressé de dormir que de savoir où j’étais.

Je dormis profondément et délicieusement. Quand je m’éveillai, le sac du vacher et le troupeau de vaches avaient disparu. L’enfant, en revenant les chercher, ne m’avait peut-être pas aperçu. Je comptais bien retrouver mon chemin sans le secours de personne, et je me remis en route tout en me disant que j’étais devenu un sauvage, puisque je reposais si bien à ciel ouvert sur la dure, tandis que les gros lits de plume et les épais rideaux de nos habitations auvergnates me donnaient le cauchemar.

Je m’engageai dans des sentiers que je jugeais devoir me ramener vers la Chaise-Dieu, mais où je m’égarai de plus en plus. Impossible de rencontrer une clairière, et, au bout d’une heure de marche sous l’ombrage des pins, je me trouvai sous celui des sapins de montagne, arbres très différens, aussi frais et aussi plantureux que les pins sont ternes, sombres et décharnés. Comme j’avais toujours monté pour chercher un point de vue quelconque, je ne m’étonnai pas de me trouver dans la région où croissent ces beaux arbres amis des nuages et des vents humides, et, comme le point de vue ne se faisait pas, je pensai être dans la direction de Saint-Germain-l’Hermite. Je me mis donc à redescendre, mais je rencontrai les bouleaux, et dès lors il n’y avait plus pour moi de doute possible. Je marchais droit sur la route d’Arlanc, c’est-à-dire sur Bellevue.

En effet, dix minutes plus tard, j’apercevais sous mes pieds la rampe tortueuse qui suit les ressauts de la montagne, et s’enfonce dans les chaudes vallées de l’Auvergne avec une rapidité audacieuse