Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous que j’ai descendu par le plus court, aux gorges d’Enfer, un jour qu’il pleuvait des pierres du haut des puys. Il y a bien de ça huit ou dix ans peut-être ?

— Peut-être bien, lui dis-je, ne voulant pas l’aider à retrouver mon nom. Voyons, ce que je vous demande, l’acceptez-vous ?

— Oui, parce que ce ne peut pas être pour faire quelque chose de mal. Ça ne peut être ni pour tuer un homme ni pour enlever une femme mariée, n’est-ce pas ?

— Sur ce qu’il y a de plus sacré au monde, je vous jure que je ne veux rien faire qui soit bien ou mal. Je veux regarder à mon aise et entendre causer une demoiselle avec qui je me marierai peut-être un jour, et qui ne me connaît pas.

— Tiens ! s’écria François, j’ai déjà vu ici une histoire comme ça ! Eh bien ! cela se peut ! Avec de l’argent, tout s’arrange, et quant à la discrétion, vous pouvez compter sur celle de tous mes camarades comme sur la mienne. Laissez-moi faire, et reposez-vous. Séchez-vous, mangez, dormez ; la maison est à votre service.

En un clin d’œil, la femme de François fut debout, le feu rallumé, la soupe faite et le fromage servi. Ces bonnes gens voulaient me donner leur lit et aller coucher sur le foin de leur grenier. Je trouvai le foin beaucoup plus à mon gré, et même, ayant découvert un tas de balles d’avoine dans un coin, j’y fis étendre un drap blanc, et je m’y enfonçai comme un sybarite dans des feuilles de roses. Dès le lendemain, on m’avait cousu une paillasse et acheté une couverture neuve. Mon logement était au-dessus de l’étable à vaches et n’avait jamais servi qu’à l’engrangement des petites récoltes de mon hôte. Le chat faisait si bonne garde que les souris ne m’incommodèrent pas, et que, dans une cabane d’Auvergne, je pus ne pas souffrir de la malpropreté, bien que, rompu à toute sorte de misères, et à de bien pires que celle-là, je me fusse d’avance résigné à tout.

Il s’agissait pour François de se faire agréer pour guide à la famille Butler, qui ne le connaissait pas. Bien qu’elle fût venue plusieurs fois au Mont-Dore, le hasard avait voulu qu’elle n’eût jamais eu affaire à lui, et elle ne manquerait pas de redemander ses anciens guides. Il fallait donc décider ceux-ci à nous laisser briguer la préférence, et empêcher tous les autres de faire un mauvais parti à ma nouvelle figure. Ce que François mit en œuvre de prévoyance, de diplomatie et d’imagination, je ne m’en occupai nullement, si ce n’est pour payer sans discussion la condescendance et la discrétion de nos compétiteurs.

Le surlendemain de mon arrivée, tout était arrangé avec d’autant plus de promptitude que le service des guides, porteurs de