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pieds et gros comme le bras s’était contourné dessous en spirale, faisant pendant la nuit office de matelas. Il appela ses serviteurs, mais ceux-ci, au lieu de tuer le reptile, se contentèrent de le frapper légèrement avec une baguette, en lui disant : « Va-t’en, serpent, va loin d’ici. » Ces grosses espèces ne sont pas venimeuses et ne s’attaquent guère qu’aux petits quadrupèdes. Les crocodiles, dont les rivières, les lacs et les moindres cours d’eau fourmillent, partagent les bénéfices de la crainte superstitieuse que les reptiles inspirent ; souvent leur longueur dépasse quinze pieds ; ils peuvent guetter leur proie en toute sécurité. Les indigènes les invoquent comme des êtres surnaturels, et les conjurent à l’aide de talismans ; ils semblent même en avoir fait leur animal national, car une mâchoire de crocodile figurée en or est le principal ornement de la couronne hova.

M. Ellis, étendu dans un palanquin suspendu par deux longues perches que soutenaient quatre porteurs, suivi d’une demi-douzaine de serviteurs chargés de son appareil photographique, de sa boîte à thé, de son sac de voyage, des ustensiles de cuisine, cheminait lentement sous les gigantesques ombrages de la forêt, à travers des sentiers à peine tracés, s’arrêtant pour reproduire par un rayon de soleil l’inextricable fouillis des fougères, des grands arbres, des racines et des fleurs enlacés. De loin en loin, dans une éclaircie, on entrevoyait quelque village au bord de la mer, dont les flots venaient expirer au pied de la forêt. Après quelques jours de ce trajet, le voyageur déboucha sur un plateau d’où la vue s’étend au loin et domine de vastes espaces de la forêt et de la mer. Au bas du plateau, sur le rivage, s’étend Foule-Pointe ; naguère c’était un des ports ouverts par Radama au commerce européen, et ce point, comme tant d’autres sur cette côte, depuis la baie d’Antongil jusqu’au Fort-Dauphin, a retenti du nom de la France. C’est là qu’à la fin du XVIIIe siècle l’aventurier Benyovsky, prisonnier des Russes, voyageur en Chine, chef d’une expédition française, vint se présenter aux populations comme le descendant d’un de leurs chefs indigènes, et réussit à régner douze ans sur les tribus de Mahavelona. Des guerres intestines, les misères de la traite ont depuis désolé ce rivage, et ce fut en vain que M. Ellis chercha à évoquer dans la mémoire de ses habitans actuels le souvenir de l’aventurier polonais.

À Foule-Pointe, comme à Tamatave, le missionnaire reçut, le meilleur accueil. Il poursuivit quelque peu encore son excursion, complétant sa moisson de plantes et de fleurs ; puis il reprit le chemin de Tamatave, d’où il gagna Maurice et le Cap. C’était seulement dans une troisième visite qu’il allait pouvoir pénétrer jusqu’à la capitale des Hovas, but de ses persévérans efforts.