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mis et juré plus que je ne demandais, car je comptais bien et je compte toujours que nous resterons en France. J’ai pensé que vous étiez très enthousiaste, très vif en paroles, et qu’au besoin vous reculeriez devant un pareil sacrifice.

— Vous vous êtes trompée, je ne reculerais pas.

— Eh bien ! c’est peut-être mal de m’aimer à ce point-là ; mais vous n’êtes pas dans la même situation que moi. Votre mère, vous me l’avez dit, désirait notre mariage, et l’idée de votre bonheur lui eût fait tout accepter. C’est la consolation des cœurs généreux que de savoir s’oublier pour ceux qu’on aime. Chez nous, ce n’est pas la même chose. J’ai affaire à un père qui ne saurait pas vivre sans moi, à un frère…

— C’est de lui qu’il faut me parler ; voyons ! Votre père n’exigera rien de moi qui ne soit accepté d’avance ; mais l’enfant, le terrible enfant ! C’en est donc fait ! il est guéri, il est heureux… Je le vois là-bas qui joue avec son chien, et j’entends, je crois entendre son rire, qui monte jusqu’ici. C’est vous, Love, qui avez fait encore ce miracle, et cette fois le remède que vous avez mis sur la plaie, ce n’est pas ma soumission, c’est votre abandon et ma mort.

Love ne répondit rien. Elle regardait fixement du côté de son frère, et de grosses larmes coulaient sur ses joues.

— Vous m’effrayez ! lui dis-je. Est-ce que cette apparence de santé est trompeuse ? Est-ce qu’il est condamné ?

— Non, non ! répondit-elle ; il est sauvé, parce que je lui ai fait un mensonge. Je lui ai dit que je renonçais à vous, que je ne voulais jamais me marier… Il l’a bien fallu ! M. Rogers ne vous a-t-il pas dit que le pauvre enfant n’avait pas d’autre mal que sa jalousie, mais que ce mal était effrayant, que sa raison en était menacée, et qu’il était impossible à cet âge-là de persévérer avec tant de force et d’obstination dans un chagrin quelconque, sans faire craindre que le désordre ne soit déjà dans les facultés de l’âme ? Tenez, j’étais, il y a un mois, la plus heureuse créature de la terre, et maintenant je suis la plus inquiète, la plus désolée. Ne viendrez-vous point à mon secours ?

— Comment, m’écriai-je, c’est vous qui m’invoquez quand je succombe, et qui me demandez mon aide pour m’anéantir ? Que voulez-vous donc que je fasse pour vous rendre ce bonheur que mon funeste amour vous a enlevé ? S’il faut me tuer, me voilà prêt ; mais s’il faut vivre sans vous revoir, n’y comptez pas.

— Je ne veux pas, répondit-elle, que vous consentiez à vivre toujours sans me voir : je ne vous parle que d’une séparation de quelques mois, de quelques semaines peut-être ; donnez-moi le temps de guérir et de convaincre mon frère. Quant à vous tuer,