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si j’eusse été une mère de famille. Elle m’a dit : « Tu vois que ton père aime la science, c’est beau et respectable. « Vénère la science par amour pour lui, et apprends tout ce qu’il voudra que tu saches, quand même cela ne devrait jamais servir qu’à lui être agréable. Tu es forte et tu as de la mémoire. Hope est encore mieux doué que toi ; mais il est délicat et pas assez gai pour son âge. Prends garde que ton père n’oublie cela, et qu’il ne se fie trop à des facultés précoces. Sois toujours là, et fais en sorte que mon fils travaille assez pour contenter le cœur de son père et développer ses propres aptitudes, mais pas assez pour que sa santé en souffre. Ne le perds jamais de vue, et quand tu le verras trop lire ou trop rêver, prends-le dans tes bras, emporte-le au grand air, secoue-le, force-le à jouer. Il faudra trouver moyen de faire tout cela sans négliger tes propres études. Ainsi tu n’auras pas un instant de reste dans ta vie pour songer à d’autres plaisirs que ceux du devoir accompli. Je sais que je te demande ce qu’on appelle l’impossible, ma pauvre Love ; mais il n’y a rien d’impossible quand on aime, et je sais que s’il faut faire des prodiges, tu en feras. » Que vouliez-vous que je répondisse à ma mère quand elle était là, sur son lit d’agonie, pâle et comme diaphane, serrant mes petites mains d’enfant dans ses pauvres mains convulsives, et couvrant mon front de larmes déjà froides comme la mort ? Ah ! je n’oublierai jamais cela, c’est impossible ! Mon ami, ayez pitié de moi. Montrez-moi du courage, afin que j’en aie aussi. Soyez pour moi ce que j’ai été pour ma mère, et je crois, oui, je sens que je vous aimerai comme je l’aimais, ou plutôt, non ! parlez-moi comme elle me parlait, commandez-moi de me sacrifier à mon devoir ; c’est encore comme cela que je vous comprendrai et vous aimerai le mieux.

En parlant ainsi, Love se jetait dans mes bras avec l’innocence d’un être que les passions terrestres ne peuvent pas atteindre, et moi qui l’aimais en imagination d’un amour sauvage et terrible, quand je la sentais ainsi, abandonnée et chaste, sur ma poitrine, je ne songeais seulement plus à ce que mes désirs avaient mis de rage dans mon sang. Je la regardais avec tendresse, mais avec autant de respect que si elle eût été ma sœur. Je baisais doucement ses cheveux, je n’aurais pas osé les soulever pour baiser son front nu, et son pauvre cœur qui palpitait comme celui d’un oiseau blessé, je le sentais près du mien sans me souvenir d’une autre union que celle de nos âmes.

La douceur de Love devait me vaincre, et elle me vainquit. Encore une fois je cédai. Je promis d’attendre sans me désespérer la guérison de Hope, dût-elle tarder à être radicale. Tarder combien de temps ? Hélas ! je n’osai fixer un terme, dans la crainte de le voir