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l’Europe qu’aucun changement ne peut s’accomplir légalement dans la distribution territoriale du continent sans le consentement et la sanction des puissances qui ont fixé cette distribution. Les vœux des populations italiennes sont donc légitimes et ne peuvent être refoulés par la force étrangère tant que ces populations se bornent à repousser tel ou tel prétendant et à se gouverner elles-mêmes comme elles l’entendent. Leurs prétentions n’auraient plus le même caractère, elles empiéteraient sur les droits collectifs de l’Europe, si, en s’unissant de fait à un autre état, elles changeaient, avant l’assentiment de l’Europe, l’état territorial existant. Ainsi, conformément au principe de non-intervention, les populations italiennes peuvent refuser, sans avoir à redouter la pression d’une force extérieure, les princes qu’on veut leur rendre, et conformément au droit européen elles n’ont pas le pouvoir de s’annexer à la Sardaigne sans l’aveu de l’Europe. Entre ces limites, n’y a-t-il pas un espace assez large pour que la France et l’Angleterre puissent arriver sans se heurter à combiner une politique vraiment favorable à l’indépendance de l’Italie, une politique de transition sans doute, qui ne sera pas encore l’unité demandée par les Italiens, mais qui sera un acheminement visible vers cette unité, et n’en rendra peut-être que plus sûre la réalisation dans l’avenir ? Pourquoi, par exemple, les provinces révolutionnées de l’Italie centrale ne s’agrégeraient-elles pas sous un même gouvernement, et pourquoi l’Europe, puisqu’elle s’interdit l’intervention matérielle, n’admettrait-elle pas, sous l’empire du fait accompli, la réunion en un seul état de la Toscane, de Modène, de Parme et des Romagnes ?

Nous le savons, bien qu’elles s’approchent autant que possible de la réalité, les vues que nous exprimons ici sont du domaine de la théorie, et les théories sont bien faibles en face d’un état révolutionnaire, c’est-à-dire d’une situation où le libre arbitre des hommes est fatalement violenté par la force des choses. Le malheur de la question italienne, c’est d’avoir été engagée sous ce prestige d’une théorie que les événemens ont à chaque instant démentie et déjouée. L’intérêt pratique en Italie n’est point en ce moment de dresser des plans de restauration, de formation d’états ou de confédération, mais de contenir et de sauver la révolution par le maintien de l’ordre. C’est cette nécessité d’organiser promptement l’ordre dans l’Italie centrale qui avait porté les chefs de la révolution italienne à se placer sous la régence du prince de Carignan. Cette combinaison, comme l’ont démontré dans leurs rapports aux assemblées MM. Ricasoli et Farini, avait le double avantage de donner une satisfaction au mouvement italien, et de le contenir en même temps dans les garanties de la forme monarchique. Cette combinaison doit être considérée comme avortée, puisque le gouvernement français y voit un empiétement sur les droits du prochain congrès, et la repousse à ce titre. Il est vrai que l’établissement de la régence du prince de Carignan eût ressemblé de fort près à l’accomplissement de l’annexion ; mais il est certain qu’en prenant le gouvernement temporaire de l’Italie centrale, le prince de Carignan eût ramené ce pays dans la voie régulière, et l’eût protégé contre les désordres révolutionnaires. Avant que le roi de Sardaigne n’eût reçu les derniers conseils du gouvernement français, on nous écrivait de Turin que le prince de Carignan accepterait la régence, et allait publier une proclamation où, avant tout, les droits du congrès seraient expressément