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les plaintes des étrangers que comme un négociateur ayant mission de traiter d’égal a égal avec un ambassadeur ; enfin l’empereur était si magnanime, qu’il continuait à tolérer la présence des Européens dans les ports, et que le bombardement de Canton n’avait retenti ni à Shang-haï, ni à Ning-po, où les mandarins se comportaient à l’égard des consuls comme si l’on était en pleine paix ! Comment expliquer cette série de contradictions ou de naïvetés ? Pour mener aussi légèrement une affaire aussi grave, le cabinet de Pékin ignorait-il ou feignait-il d’ignorer le véritable caractère des événemens de Canton ? Tout indique que sa méprise était sincère. En laissant à l’ancien gouverneur Pi-kwei l’administration de la ville, les alliés avaient épargné jusqu’à un certain point au gouvernement chinois les apparences de la défaite, et Pi-kwei ne se vantait certainement pas aux yeux de son souverain de la situation qu’il avait acceptée des vainqueurs ; aussi, après avoir reçu l’investiture des ambassadeurs anglais et français, ce même Pi-kwei était-il désigné par l’empereur pour remplir les fonctions de gouverneur-général jusqu’à l’arrivée du successeur de Yeh. On croyait donc à Pékin que la ville de Canton, quelque peu détériorée par les canons européens et occupée momentanément par une poignée de soldats barbares, n’avait point cessé de demeurer sous l’autorité impériale, et on supposait que l’humeur turbulente des étrangers devrait s’estimer plus que satisfaite par l’éclatante disgrâce d’un vice-roi. En résumé, la vérité n’était point connue à Pékin ; le cabinet impérial désirait que la querelle de Canton demeurât une affaire toute locale et fût réglée à Canton même. Voulant à tout prix éloigner du nord de l’empire, et particulièrement du voisinage de la capitale, les ministres étrangers, il accordait une concession qui, pour être dissimulée sous des formes par trop superbes, n’en était pas moins très importante, le désaveu et la déchéance de Yeh ; il se figurait que les choses ne seraient point poussées plus loin. Le premier ministre se trompait évidemment, mais il ne songeait pas à commettre envers lord Elgin le grave délit d’impertinence. D’un autre côté, l’ambassadeur anglais ne pouvait accepter une pareille réponse, qui s’accordait si peu avec les conditions de son ultimatum. Il la renvoya aux mandarins qui la lui avaient adressée, et il écrivit au premier ministre que son refus de correspondre directement avec lui, sous prétexte d’usages chinois, constituait une violation du traité de Nankin. Il annonçait en même temps qu’il allait se mettre en route pour le nord, où il serait mieux à portée d’entrer en communication avec les hauts fonctionnaires de la capitale. Approuvée et partagée non-seulement par l’ambassadeur français, mais encore par les ministres de Russie et des États-Unis, qui probablement avaient reçu des réponses