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Nous n’avons jamais entendu que l’on dût modifier en quoi que ce fût les conditions fondamentales. Les demandes que ces barbares ont apportées il y a deux ans à Shang-haï et à Tien-tsin étaient tellement inadmissibles que nous les avons repoussées avec dédain. Les ministres étrangers eux-mêmes, convaincus de leur déraison, n’ont point cherché à prolonger le débat. Les voici maintenant qui vont à Shang-haï sous le prétexte que les façons d’agir du gouverneur de Canton ne leur paraissent plus tolérables ; mais les autorités de Shang-haï ne sont à aucun titre compétentes pour s’occuper de ces affaires : elles ne peuvent rien accorder, et leur refus aura pour résultat de pousser les barbares vers Tien-tsin, ce qui serait une violation plus grande encore du droit et des convenances. Il faut donc que Yeh prenne connaissance de tous les détails de cet incident et qu’il retienne les barbares. Si les changemens que ceux-ci désirent ne portent que sur des points peu essentiels, il pourra les examiner avec eux, puis nous en référer pour que ces changemens soient adoptés. Si on reproduit les extravagantes demandes présentées déjà il y a deux ans, il devra parler net, tout repousser et rompre les négociations. C’est à lui qu’il appartient de faire évanouir ces projets de voyage vers le nord ; il procédera adroitement, par un égal mélange de bienveillance et de menace. Qu’il ne se montre pas complètement inaccessible, de crainte que son refus de les recevoir ne fournisse aux barbares un prétexte de plainte. D’un autre côté, les autorités de Shang-haï répéteront aux consuls que toutes les affaires, concernant les cinq ports sont en dehors de leur juridiction, et regardent exclusivement le commissaire impérial résidant à Canton… Elles s’efforceront, par quelques paroles gracieuses, de persuader aux chefs barbares qu’ils doivent prendre la route de Canton, et couperont court à toute autre difficulté. Cela est très important. »


Les documens chinois qui viennent d’être analysés ou reproduits auront paru sans doute assez burlesques, mais ils sont en même temps fort instructifs. Ils montrent que les faits et gestes des Européens sont régulièrement portés à la connaissance du gouvernement central, que l’empereur en est informé et s’en occupe, car plus d’une fois son auguste pinceau a daigné surcharger d’annotations à l’encre rouge les dépêches des mandarins. Or on se figurait généralement que l’empereur, enfermé dans la triple muraille de son palais, demeurait étranger à la politique des barbares, et que les traités conclus de 1842 à 1844 n’avaient même jamais été placés sous ses yeux[1]  : erreur grossière qui a pu, dans certaines circonstances, entraîner à de fausses démarches les diplomates européens. Il est vrai que si le cabinet de Pékin est instruit des principaux événemens qui se passent dans les ports, il ne peut guère les apprécier exactement d’après les comptes rendus que lui adressent les mandarins. Il

  1. Voir ce que nous avons dit à ce sujet dans l’Annuaire des Deux Mondes de 1857-58, page 894, en expliquant comment les textes originaux des traités ont pu être trouvés dans les archives de Canton, lors de la prise de la ville.