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étonner ; lorsqu’ils signaient ces rapports, où leurs éloquentes déclamations contre l’impertinence des barbares se terminaient en définitive par des propositions conciliantes, ils devaient se rappeler l’histoire de Ky-ing.

Ky-ing a été de 1842 à 1844 le grand négociateur de la Chine ; c’est lui qui a conclu les traités avec l’Angleterre, avec les États-Unis, avec la France. Les ministres étrangers ont vanté son habileté, sa finesse, ses façons aimables et courtoises. Ky-ing était devenu aux yeux de l’Europe un personnage considérable ; son nom symbolisait une politique nouvelle, bienveillante pour les étrangers, tolérante, libérale ; il représentait une sorte de jeune Chine. Dans son pays même, Ky-ing occupait une situation prépondérante, ses amis étaient tout-puissans à la cour, et l’empereur Tao-kwang lui savait gré d’avoir rendu le calme à sa vieillesse en arrêtant l’invasion des barbares. Au début du nouveau règne, on apprit que l’ancien commissaire impérial était tombé en disgrâce ; puis l’Europe, n’entendant plus parler de lui, l’oublia. En 1854, il méditait sans doute dans quelque emploi subalterne sur la grandeur et la décadence des mandarins, au moment même où les favoris Hiang et Tsoung-lun étaient à leur tour chargés de tenir tête aux ministres étrangers. Quel était donc son crime ? Il avait pactisé avec les Européens. Nous le verrons tout à l’heure reparaître en scène dans un rôle assez misérable et pour la dernière fois. Les Européens, dont il avait naguère si chaudement plaidé la cause, se détourneront de lui presque avec dégoût, et son nom, jusque-là respecté, sera livré au mépris et à l’injure. Un malheureux rapport signé de lui a été trouve dans une liasse des archives de Canton, et sur cette seule pièce on l’a condamné. S’il ne s’agissait que de la gloire de Ky-ing, l’incident n’aurait pour nous aucun intérêt ; mais précisément ce rapport et l’impression qu’il a produite donnent la mesure des graves erreurs d’appréciation qui ont cours sur les affaires de Chine, et indiquent fidèlement l’attitude qui est imposée même aux plus puissans mandarins dans leurs relations avec la cour.

Le rapport de Ky-ing, traduit dans les journaux d’après la version anglaise de M. Wade, a circulé dans toute l’Europe. Il exprime l’opinion du commissaire impérial sur les procédés qu’il faut employer envers les étrangers quand on traite avec eux ; il donne aussi quelques explications au sujet des habitudes européennes et de divers incidens qui se rattachent aux ambassades de la France et des États-Unis. À la première lecture, on est surpris des doctrines quelque peu cyniques du mandarin, et l’on s’indigne de voir un homme tel que lui parler de nous en termes méprisans, nous qualifier de barbares ignorans et grossiers, et répéter les banalités injurieuses