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C’était toujours cette maudite question de Pékin qui revenait sur le tapis. Le commissaire impérial la traita plus sérieusement que ne l’avait fait son secrétaire. Il pria, supplia l’interprète d’employer son influence pour le retrait d’une clause fatale pour la Chine. « Vous-même, lui dit-il, vous qui connaissez notre pays, je vous prends pour juge : n’est-ce point là une condition énorme, qui nous causerait d’immenses embarras ? » Et M. Lay ne put s’empêcher d’en convenir jusqu’à un certain point. Kouei-liang, croyant voir faiblir son adversaire, invoqua ses soixante-quatorze ans, se déclara perdu, dégradé, s’il consentait à une pareille proposition, sollicita instamment une transaction quelconque, ou tout au moins un ajournement. Quant aux autres articles, il dit les avoir examinés, et s’engagea à remettre le lendemain un mémorandum contenant ses observations.

Le mémorandum fut exactement communiqué le 9 à M. Lay, qui fut assez surpris d’y voir des solutions plus ou moins négatives en regard de presque toutes les clauses indiquées dans la dépêche du 11 février. Il semblait pourtant que, sauf l’admission à Pékin, l’ouverture du Yang-tse-kiang et l’indemnité de guerre, ces clauses avaient été presque acceptées dans les précédentes entrevues. Tout était donc à recommencer. Sous la pression des argumens anglais, Kouei-liang admit les cinq points suivans : l’emploi de la langue anglaise dans la correspondance officielle, la tolérance à accorder au christianisme, le concours des Anglais pour la répression de la piraterie, la révision des tarifs et règlemens de douane, l’ouverture du Yang-tse-kiang et la faculté de circulation dans les provinces avec passeport, et il s’engagea à écrire à lord Elgin une dépêche dans laquelle ces points seraient formellement concédés. Cette dépêche, qui devait être transmise le jour même, n’était pas encore prête le 10 au soir. M. Lay, qui avait passé plus de sept heures à l’attendre, finit par s’impatienter ; il déclara aux commissaires impériaux qu’il ne se laisserait pas plus longtemps berner par eux, qu’il prenait ces retards pour un refus, qu’il allait sur l’heure en rendre compte à son ambassadeur, que les Anglais marcheraient sur Pékin, etc., et il partit furieux. Il n’en fallut pas davantage pour que, dès le 11, lord Elgin reçût la dépêche des commissaires, qui accordaient et les cinq points et le reste, même la présence d’un ministre dans la capitale, même l’envoi d’un ambassadeur chinois en Angleterre, le tout suivi d’un petit post-scriptum annonçant une grande hâte d’en finir et exprimant l’espérance que, sitôt le traité conclu, les navires de guerre s’éloigneraient de Tien-tsin. Lord Elgin répondit qu’il était tout prêt à signer, et l’on fixa un jour, le 14 juin, pour la rédaction définitive des articles du traité.