Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/614

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant que se passaient ces divers incidens entre l’ambassade anglaise et les commissaires impériaux, ceux-ci avaient à suivre les mêmes négociations avec l’ambassade française et à négocier également avec les ministres de Russie et des États-Unis. La Chine était donc seule contre quatre ! Se figure-t-on ces malheureux Chinois faisant tête à la fois à un Anglais, à un Français, à un Russe, à un Américain, tout meurtris des assauts que leur livraient les uns et les autres, étouffés dans les étreintes de ces prétendus amis, dont les mains étaient encore noires de poudre, et s’épuisant en luttes impuissantes pour couvrir la route de Pékin ! Ce n’est pas tout. Derrière eux était un empereur qu’il fallait, sous peine de disgrâce, rassurer par de faux rapports, et un tribunal prêt à les condamner comme traîtres ou malhabiles, s’ils succombaient. Les ministres de Russie et des États-Unis furent les premiers à dégager la situation. Ils obtinrent leurs traités, pendant que lord Elgin et le baron Gros discutaient encore ; mais leur rôle pacifique et leurs instructions leur avaient permis d’être moins raides, et ils n’insistaient pas sur la clause de l’admission des ministres à Pékin. Le 15, le comte Poutiatine annonçait à lord Elgin la signature de son traité par une dépêche très courtoise, où l’on remarque le passage suivant :


« C’est à votre excellence de décider maintenant du sort futur du gouvernement actuel, et il dépendra d’elle de mettre le frein indispensable au flot qui pourrait autrement inonder la Chine nouvellement ouverte et causer bien des désordres. Des concessions trop grandes qu’on exigerait d’un gouvernement si fortement ébranlé ne feraient que précipiter sa chute, laquelle n’amènerait que de nouvelles et bien plus graves difficultés. C’est le repos qui est nécessaire à la Chine et qui sera également profitable pour le commerce comme pour les intérêts généraux des autres états, qui certes ne désirent rien tant que de voir le gouvernement chinois arriver à la conviction que les concessions qu’il fait maintenant sont avant tout utiles pour lui-même. »


Le comte Poutiatine avait été informé par les Chinois des rudes épreuves que leur imposait le négociateur de l’Angleterre, et quand il parlait vaguement des concessions trop grandes qu’il serait imprudent et peu généreux d’exiger d’un gouvernement faible, il avait en vue cette clause de Pékin, dont lord Elgin persistait à faire la condition sine quâ non du futur traité. Sans doute il avait été prié par les commissaires impériaux, qui se raccrochaient à toutes les branches, d’intervenir officieusement dans ce périlleux débat ; peut-être aussi, jugeant de près l’état des choses, pensait-il réellement qu’en effet l’ambassadeur anglais allait trop loin, et que les relations européennes avec le Céleste-Empire seraient compromises plutôt que servies par des stipulations trop dures. À ce point de vue,