Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos deux pays verront se resserrer de plus en plus, à leur profit mutuel, les liens d’amitié qui les unissent. »

On s’étonnera peut-être du contraste que présentent ces dépêches avec les rapports dont les archives de Canton nous ont livré les copies. Ces mandarins, qui savent au besoin raisonner si juste et s’exprimer si dignement, sont-ils donc de la même race que ces misérables fonctionnaires qui, dans leur correspondance avec la cour de Pékin, nous paraissent si grotesques et si plats ? Il est permis de poser cette question. Ce sont pourtant bien les mêmes personnages, qui, selon les circonstances, selon les interlocuteurs, varient et leurs pensées et leur style. Lorsqu’ils s’adressent à l’empereur, la crainte de déplaire, la perspective de la disgrâce et l’extrême peine qu’ils se donnent pour inventer des explications, des excuses et des mensonges, les rendent parfois complètement stupides. Quand ils parlent à lord Elgin, et surtout quand la conversation s’engage à quelque distance de Pékin et hors de la portée d’une escadre anglaise, il semble qu’ils se retrouvent ; ce sont des lettrés, ce sont des hommes. Déjà lors des négociations de 1844, les ambassadeurs de France et des États-Unis avaient lu, non sans étonnement, de remarquables dépêches de Ky-ing, et ils s’étaient convaincus qu’il ne faut pas juger les Chinois sur quelques pièces ridicules qui sont d’ordinaire livrées à la risée des Européens avec une forte addition de couleur locale. Lord Elgin ne fut pas moins surpris lorsqu’il reçut les deux notes des commissaires impériaux. Il y avait dans ces notes un tel accent de sincérité et, à travers cette résignation au fait accompli, le désespoir d’une conviction si profonde, il y avait dans l’appel adressé à sa générosité un élan si irrésistible, qu’à la fin il se sentit ému. En présence de ces prières, de ces supplications persistantes pour la révision d’une clause, d’une seule clause du traité, il se prit à croire qu’il s’était peut-être lui-même aventuré trop loin ; il se rappela les conseils d’abord suspects du comte Poutiatine ; il examina avec plus de calme les résultats éventuels de la condition qu’il avait si durement imposée, et ces réflexions tardives lui inspirèrent un bon mouvement. Supprimer purement et simplement un article du traité et renoncer après coup au droit de résidence à Pékin, cela lui était impossible ; mais il annonça aux commissaires impériaux qu’il serait tenu compte de leurs ardens désirs ; il leur écrivit, et dans cette dépêche il quitta le ton rogue et hautain auquel il les avait jusque-là trop habitués. « Si l’ambassadeur qui doit venir l’année prochaine échanger les ratifications est convenablement accueilli dans votre capitale, et si l’ensemble du traité de Tien-tsin est strictement exécuté, j’intercéderai auprès de mon gouvernement pour que le ministre anglais