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s’élèvent quelques pans de murailles habitées par les serpens et les lézards ; les arbres ont introduit leurs racines dans les bastions de la forteresse qui dominait la ville, et bientôt il n’en restera plus pierre sur pierre. La population, composée de nègres et de métis au nombre d’environ huit ou neuf cents, est affreuse de haillons et de saleté et promène orgueilleusement son indolence le long de la plage. Les femmes seules travaillent ; elles pilent le maïs ou rôtissent les bananes pour les repas de leurs seigneurs et maîtres, remplissent les sacs de gousses de cacao, portent sur leurs têtes de lourdes cruches pleines d’eau puisée à une fontaine éloignée. Au lieu de la flottille de galions qui s’assemblait autrefois dans le port, protégée par le canon des forteresses, trois ou quatre goélettes appartenant à un négociant de la Jamaïque, le juif Abraham, se balancent paresseusement sur leurs ancres, non loin de petits entrepôts appartenant au même propriétaire. Tous les quinze jours, le bateau à vapeur anglais qui fait le service de Saint-Thomas à Aspinwall entre dans le port, non pour y prendre ou y déposer des passagers, mais uniquement pour y renouveler sa provision d’eau. Avant la construction du chemin de fer de l’isthme, un premier tracé désignait Portobello pour point de départ de la ligne ferrée. Le commerce y aurait trouvé l’avantage inappréciable d’un excellent port, et les ingénieurs n’auraient eu qu’à suivre l’ancienne route des Espagnols, aujourd’hui simple sentier obstrué par les hautes herbes. Toutefois l’insalubrité de Portobello, plus effrayante encore que celle d’Aspinwall, modifia les plans de la compagnie. En effet, à l’est de la ville s’étendent de vastes marécages où l’eau douce et l’eau salée apportent avec le flux et le reflux des plantes en décomposition ; des forêts de palétuviers croissent dans le sol mouvant à quelques pas des huttes, et les collines qui se dressent à l’entrée du port empêchent les vents alizés de renouveler l’air corrompu qui pèse sur la ville. Des nuages se forment continuellement au-dessus de ce bassin fermé, que ne visitent pas les brises, et retombent en pluies journalières. On peut dire que le bassin de Portobello est un cratère toujours fumant de vapeurs et de miasmes.

Le capitaine n’eut terminé qu’à la chute du crépuscule l’emplette importante de trois sacs de cacao, et les étoiles brillaient déjà dans le ciel quand notre canot vint toucher les flancs de la goélette. Me berçant de l’espoir d’un agréable sommeil, qui pourrait compenser l’insomnie de la nuit précédente, je me hâtai de m’envelopper dans une voile étendue sur le pont. À peine avais-je fermé les yeux qu’une forte averse m’obligea à chercher un refuge dans la cale. Dès que le nuage qui nous avait donné cette ondée eut disparu, je sortis de nouveau de mon antre pour me tapir dans un pli de la voile,