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sacrifiaient la bonne administration des propres finances de l’Angleterre à la nécessité de soudoyer nos ennemis ; ils sacrifiaient le progrès social et politique de leur propre peuple à la volonté d’abaisser la France. Voilà une politique anglaise que notre histoire même ne nous a que trop appris à connaître, voilà la politique qui a marqué dans notre histoire les deux dates fatales de 1763 et de 1815. Par une aberration qui fait à la fois rire et pleurer, voilà pourtant la politique que des Français qui se croient patriotes, et qui même prétendent être les seuls patriotes, célèbrent comme la seule grande politique anglaise ? A les entendre, l’Angleterre n’a fait que déchoir depuis qu’elle a cessé de la pratiquer ! Ils la raillent ou la plaignent de n’avoir plus à sa tête des Chatham, des Pitt, ou même des Castlereagh ! Voyons donc quelle a été la politique de la décadence anglaise, la politique qui a tant mérité notre mépris ou notre pitié !

La politique qui a généralement prévalu en Angleterre depuis 1815 jusqu’à ce jour a été, chose extraordinaire, peu connue et nullement comprise sur le continent. Les développemens de cette politique se sont pourtant étendus sur un assez long espace de temps pour qu’il fût facile d’en saisir et d’en apprécier les grands caractères. Nous ne craindrons pas de le dire : considérée dans son ensemble, c’est la politique la plus sensée et la plus juste qui ait encore été pratiquée par aucun peuple européen, c’est la vraie politique de la paix d’un peuple libre. À partir de 1815 en effet, les Anglais ont poursuivi trois desseins : réformer leurs institutions, régler leurs finances, et travailler à l’avancement matériel et moral du peuple. Nous n’insisterons pas sur les réformes politiques ; ce sont les plus connues. Et certes les peuples du continent qui, dans ces quarante-cinq années, ont traversé tant de révolutions pour revenir presque toujours sur leurs pas, ne sauraient parler avec dédain de l’habileté et du bonheur avec lesquels, échappant aux révolutions par les réformes, l’Angleterre a pu assurer ses progrès politiques intérieurs. La politique financière de l’Angleterre n’a été ni moins habile ni moins heureuse ; elle a eu un double caractère, économique et social. Effrayée des prodigalités financières de la grande politique de Pitt, qui lui avait légué une dette de plus de 20 milliards, elle se prit d’une horreur sensée pour ce système de subvention des armées étrangères que Pitt avait employé avec tant d’exagération. La paix venue, l’opinion anglaise prit en quelque sorte vis-à-vis d’elle-même la résolution de ne plus tomber dans ces ruineuses exagérations, et comme ces charges qui pesaient tant sur l’Angleterre étaient la conséquence du rôle qu’on lui avait fait jouer dans les affaires du continent, l’opinion anglaise, repoussant la cause avec l’effet, se prononça avec vigueur contre tout système de politique étrangère qui tendrait à entraîner de nouveau la Grande-Bretagne dans les complications politiques et les guerres du continent. Ce sentiment s’étendit bientôt des classes commerçantes aux masses aussi bien qu’à l’aristocratie, finit par dominer les hommes d’état de tous les partis, et devint celui de la nation tout entière, comme on l’a bien vu au commencement de cette année, lorsque cette soudaine guerre d’Italie est venue mettre aux prises les affections politiques et les intérêts du peuple anglais.

Au point de vue financier, le premier effet de cette politique a été celui-ci :