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mais l’Autriche s’inquiétait bien alors de la sécurité générale qui résulterait des maximes de Canning, si elles étaient universellement pratiquées ! M. de Metternich ne pouvait plus douter que l’Angleterre ne fit défaut au concert contre-révolutionnaire des cours du Nord, et il ressentit seulement le coup que portait à la cause absolutiste ce qu’il appelait sans doute la défection du cabinet anglais. L’on vit bientôt, à partir de 1830, ce que les peuples devaient gagner, ce que les cours despotiques allaient perdre à la nouvelle attitude de l’Angleterre. La France fit sa noble révolution de 1830, et n’eut point à la défendre contre une coalition européenne, parce que l’Angleterre, devenue libérale, applaudissait au triomphe de la liberté en France, qui déterminait la victoire de la réforme parlementaire de l’autre côté de la Manche, et qu’il n’y a point de coalition possible contre la France, si l’Angleterre n’y prend part. À l’abri de l’alliance de la France et de l’Angleterre, la Belgique put reconquérir sa nationalité et se donner des institutions libres ; l’Espagne et le Portugal purent échapper au despotisme et au fanatisme. La nouvelle politique anglaise mettait fin à l’ère des coalitions contre-révolutionnaires : c’était un immense avantage pour les peuples, s’ils avaient su en profiter, et si, par des révolutions intempestives ou mal conduites, ils ne s’étaient pas livrés eux-mêmes aux réactions qui ont effacé les mouvemens de 1848 ; mais, malgré ces malheureuses vicissitudes, dont nous ne pouvons accuser que nous-mêmes, la France a recueilli deux avantages signalés de la nouvelle politique anglaise. Grâce à l’alliance de l’Angleterre, elle a pu se tirer glorieusement du mauvais pas de la question des lieux-saints, et renvoyer à la Russie l’échec que l’empereur Nicolas avait voulu nous infliger ; grâce à la neutralité anglaise, nous avons pu entreprendre et mener à fin, contre le gré de l’Europe, la guerre d’Italie. Les peuples, et la France notamment, ont donc tiré grand profit de la nouvelle politique anglaise. Quant à l’Angleterre elle-même, elle a recueilli sans doute de cette politique les avantages essentiels qu’elle lui demandait : elle a pu remanier ses institutions intérieures sans déchirement révolutionnaire, elle a vu sa population doubler presque en un demi-siècle, elle a fait des accumulations colossales de capitaux ; elle a multiplié ses colonisations ; elle a travaillé à élever ses classes ouvrières au bien-être, au sentiment de la dignité humaine, à l’exercice efficace des droits politiques. L’un de ses hommes d’état les plus illustres, sir Robert Peel, a pu placer son œuvre de réforme sociale sous l’invocation d’un des plus glorieux précurseurs de notre révolution et se vanter d’avoir accompli une pensée de Turgot. Mais en remplissant cette tâche sensée, logique, féconde d’un peuple libre, l’Angleterre a payé le bien qu’elle se faisait elle-même en négligeant ses défenses. Elle a diminué ces établissemens dispendieux qui sont bien plutôt les instrumens accidentels de la force des peuples que la raison permanente de leur puissance. Elle s’est doublement désarmée : désarmée au point de vue des alliances en encourant la défaveur des cours par les sympathies qu’elle a témoignées aux peuples, désarmée au point de vue militaire en subordonnant au respect de la liberté humaine le recrutement de son armée et de sa flotte, en effaçant de sa législation tout ce qui ressemble aux conscriptions et aux inscriptions en vigueur sur le continent.