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I

Parmi les phénomènes qui contribuent à donner au XIXe siècle français cette physionomie distincte qui en fait à beaucoup d’égards un siècle de renaissance, il faut citer en première ligne le réveil des études religieuses. J’emploie à dessein le mot d’études. Il ne s’agit pas ici en effet d’un de ces mouvemens si fréquens dans l’histoire des religions, produits passagers d’un retour aveugle vers le passé ou d’un accès fiévreux de réforme, qui n’ont souvent d’autre raison d’être que le mécontentement du présent. Ne reposant au fond que sur la négation, quelque dogmatiques qu’elles soient d’ordinaire, ces réactions ne sauraient prétendre à une durée bien longue. Elles disparaissent ou se transforment dès que l’humeur particulière ou le tour d’esprit qui leur avait donné naissance s’est évanoui lui-même ou modifié. Des études au contraire supposent que l’on prend au sérieux l’objet dont on s’occupe, et à tant de preuves douteuses de ce retour religieux dont le catholicisme est si fier, nous préférons ce simple fait que des livres tels que ceux de MM. Quinet, de Rémusat, Renan, aient pu trouver faveur en France. Un tel phénomène eût semblé d’une médiocre importance au XVIIIe siècle. Le vice de la philosophie dominante alors fut de méconnaître que la religion a droit de cité dans l’âme. « Dis-moi si tu adores et ce que tu adores, et je te dirai qui tu es, » voilà la vérité. Ce retour aux études religieuses marque donc un intérêt nouveau pour la religion, car on n’étudie vraiment que ce qui intéresse. Ce n’est pas cependant la résurrection pure et simple d’un passé religieux quelconque. La religion en soi est indépendante des formes historiques dont elle s’est tour à tour revêtue et dépouillée. Elle est essentiellement le lien par lequel l’homme se sent en rapport avec l’infini. Elle est le pont qui unit le monde du fini, du contingent, du relatif, sur lequel nos pieds reposent, à ce monde supérieur de l’éternel et de l’absolu au bord duquel nous sommes, dont nous respirons par momens certaines émanations mystérieuses, et dont l’existence s’impose à nous aussi irrésistiblement que sa consistance se dérobe à nos définitions, au point qu’il est possible d’adorer l’inconnu, qu’on ne sait pas encore comment nommer. Or le XVIIIe siècle a cru et passionnément cru au fini, au monde actuel, à l’humanité visible. Il a eu aussi son généreux idéal ; il a rêvé le bonheur parfait de l’homme dans les conditions de l’existence terrestre ; il n’a reculé devant rien, pas même devant le crime, pour le lui procurer. Malheureusement il n’a pas senti le souffle de l’invisible. De toutes les directions possibles de l’âme, le mysticisme est celle qu’il a le