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roche, et qui suintaient le long des murs. Quoique la profondeur du puits ne fût que de trois cent trente pieds et que la descente ne durât que quelques minutes, ce voyage suspendu nous semblait long et monotone. Il est assez naturel en pareil cas de lever les yeux vers l’embouchure du puits pour y chercher la lumière, dont le cercle se rétrécit de moment en moment. Vers le milieu de la fosse, cette lumière paraissait comme une lune ; quand le tonneau toucha le fond, ce n’était plus qu’une étoile.

Nous fûmes reçus par un homme d’une cinquantaine d’années, à cheveux gris, à figure vénérable, qui travaillait dans la mine depuis l’âge de douze ans. Il nous distribua des chandelles longues et minces ; lui-même avait à la main un chandelier de mineur, c’est-à-dire une boule d’argile molle qui permet de fixer la lumière contre les saillies de la roche, et qui prend aisément toutes les formes. Ces flambeaux ne servaient qu’à rendre plus visibles les ténèbres, qui, au premier abord surtout, paraissent couvrir le souterrain comme un voile noir. Les mines de sel n’ont pourtant rien de la solennelle horreur qui règne à l’intérieur des mines de charbon de terre ; on n’y sent point tomber sur sa tête ces gouttes d’eau terreuse qui filtrent de la voûte humide et surbaissée, ainsi que les larmes de la nuit. Un air salé, mais sec, une douce et uniforme température, pénètrent au contraire ces lieux sombres ; le plafond de la mine, supporté par des murs latéraux ou par des piliers taillés dans la roche de sel, est d’une élévation considérable. Pour le reste, les travaux et les systèmes d’excavation sont à peu près les mêmes que dans les houillères : c’est à l’aide, de la pioche et du coin, c’est avec le secours de la poudre à canon que l’homme s’ouvre un chemin à travers l’épaisseur des masses solides et cristallisées. À mesure que vous avancez dans la mine de sel, le spectacle s’élargit et l’espace intérieur se découvre. Il est difficile alors de ne point admirer cette architecture simple, mais grandiose, ces espaces vides qui s’étendent dans l’obscurité comme la nef d’une immense église souterraine[1], ces murs qui ont la forme, la transparence et la couleur du sucre candi, ces massifs piliers dont les facettes brillent sous la réflexion de la lumière que vous portez à la main, et, plus encore que tout cela, le caractère religieux que répandent le silence et la nuit sur ces travaux de l’industrie humaine. De temps en temps, on voit à distance une ou plusieurs lumières scintiller sur le fond noir de la mine : ce sont des ouvriers qui travaillent. Quand elles se meuvent, ces lumières dessinent vaguement des formes humaines,

  1. Pour compléter l’illusion, dans quelques mines de la Pologne les ouvriers sculptent des statues de saints en sel.