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intelligence, il faut ou revenir au polythéisme, et admettre autant de divinités que de lois naturelles, ou les considérer comme le déploiement de la pensée divine dans le temps et dans l’espace. Si donc nous laissons un moment de côté le monde moral, où la liberté humaine exigerait des limitations, il résulte de cette manière de concevoir les rapports du monde avec Dieu que tout ce qui est naturel est aussi divin. Tout n’est pas Dieu, mais Dieu est en tout, parce que tout est en Dieu. Il est, il parle dans la pierre qui tombe, obéissant aux lois de la gravitation, dans le nuage du soir qui s’élève au-dessus du lac, dans l’éclair qui brille et le tonnerre qui gronde, dans l’éclosion de la graine qui meurt pour revivre et dans le cristal qui se forme aux parois de la grotte inconnue, dans la marche des mondes se croisant dans les profondeurs des cieux et dans le coquillage fossile, débris d’une époque de la création. Il est, il se montre dans cette ascension continue des choses, qui tendent à s’élever de la matière brute et chaotique, à travers une série divisible à l’infini de progrès et d’efforts, jusqu’à l’organisme le plus compliqué, jusqu’au monde de l’esprit. Quelle indescriptible poésie résulte de cette conception des choses ! Comme elle ennoblit les phénomènes les plus vulgaires ! Que vient-on nous parler de science irréligieuse ou indifférente ? Est-ce que la vraie science peut être autre chose que religieuse ? Ce n’est pas seulement en dehors et au-dessus des choses qu’il faut chercher Dieu, c’est bien plutôt en dedans et au-dessous. Les naturalistes, les physiciens, les astronomes, les physiologistes, tous ceux en un mot qui cherchent les lois du monde visible interprètent la pensée divine ; ils sont les théologiens de la nature.

Mais aussi, et par la même raison, l’historien, le moraliste, le théologien, le philosophe, le jurisconsulte, le politique, quiconque étudie les choses de l’esprit avec le désir d’en trouver les lois et d’en systématiser les phénomènes fait l’histoire naturelle de l’esprit humain. Il n’y a ainsi entre les sciences dites morales et politiques et les autres sciences que la différence de l’objet. La méthode, le but, la pensée qui préside au point de départ et celle qui plane sur le point d’arrivée sont ou doivent être les mêmes. Chercher la loi exprimée par une série quelconque de phénomènes physiques ou moraux, c’est chercher Dieu, car c’est chercher ce qui est vrai toujours et partout, c’est désirer l’éternel, c’est tendre vers l’absolu. C’est ainsi que l’on peut concevoir une encyclopédie des connaissances humaines, non pas à l’état de juxtaposition abrupte et sans lien nécessaire, mais comme un organisme logique, parallèle aux divers degrés de l’être et s’élevant avec la succession des phénomènes qui tombent sous nos moyens de perception physique et intellectuelle.