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serais fort embarrassé de citer une seule grande ligne en France et en Angleterre qui n’ait pas donné lieu à des mécomptes de ce genre. Pour en finir, le gouvernement a pris l’affaire en main. Un emprunt de 35 millions de francs, contracté à Londres à des conditions avantageuses, lui permet d’achever la voie principale, et de jeter une autre ligne de Santiago à Talca, du nord au sud, sur la crête des Andes.

On n’a pas négligé le crédit agricole, et c’est au moyen d’un bon régime hypothécaire qu’on espère le fonder. La loi, élaborée primitivement par M. Varas, est une combinaison ingénieuse des systèmes éprouvés en Europe. Entre la caisse chilienne et le trésor public, il n’y a pas solidarité ; seulement l’institution est gérée et surveillée par le gouvernement pour la garantie réciproque des créanciers et des emprunteurs. La caisse prend hypothèque sur les biens-fonds dont elle a constaté la valeur, et elle livre en retour, non de l’argent comme chez nous, mais des lettres de gage que le propriétaire emprunteur négocie à ses risques et périls. L’intérêt est fixé à 8 pour 100, et on y ajoute 2 pour 100 destinés à l’amortissement annuel et aux frais de gestion. Les coupures sont de 500 à 5,000 fr. À la fin de 1858, après trois ans seulement d’existence, les émissions de la caisse hypothécaire s’élevaient à 17,574,500 francs. Les titres se négociaient dans l’origine au cours de 89, ce qui élevait l’intérêt à près de 9 pour 100. Du moment où la fièvre politique est venue compliquer la crise commerciale, les placemens ont flotté entre 72 et 75, c’est-à-dire au cours d’environ 11 pour 100, taux élevé, mais dont le commerce ne s’effraie pas dans l’Amérique du Sud.

La création de la caisse hypothécaire est donc un succès pour le gouvernement. On voudrait aller plus loin : on parle de faire garantir par l’état l’intérêt de 8 pour 100 que produisent les lettres de gage, et d’ouvrir à Londres et à Paris des bureaux pour le placement des semestres échus ; l’intention évidente est d’exercer sur les capitaux européens une attraction profitable à l’agriculture chilienne. Je ne verrais pas sans inquiétude la réalisation de ce projet. Il me semble que l’état, qui emprunte aisément à 5 pour 100 sur la place de Londres, ferait concurrence à son propre crédit en attribuant une garantie de 8 pour 100 à des titres qui ont en outre pour eux le prestige de l’hypothèque ; peut-être même ne serait-il point sans danger pour les propriétaires chiliens de les lancer par l’affluence des capitaux dans des améliorations hâtives et aventureuses.

À mesure qu’un pays se développe et que les relations s’y multiplient, on y sent de plus en plus le besoin d’une législation simple, uniforme, méthodique, découlant rationnellement des grands principes.