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L’ensemble de ces détails annonce une situation des plus favorables ; comment se fait-il donc qu’un pays où les intérêts positifs sont si amplement satisfaits ait été désolé récemment par la guerre civile ? C’est ce qu’il faut expliquer.


II. — LA CRISE POLITIQUE.

La commotion de 1851 avait déterminé un fractionnement dans les partis. Les esprits attentifs et modérés, parmi les progressistes comme parmi les conservateurs, avaient reconnu dans le programme du nouveau président les bases d’une politique nationale. Le parti pelucon se trouvait restreint et notablement transformé. Il se réduisait alors à un groupe d’ultra-conservateurs fiers du sang espagnol qu’ils ont conservé sans mélange, possédant de vastes domaines, de gros revenus, de nombreuses clientèles, formant par leur union naturelle avec le clergé une force imposante, ayant tendance, en un mot, à reconstituer une aristocratie autant que le permet le milieu social où ils sont placés. Un des secrets griefs de ceux-ci contre M. Montt était que dans le choix des fonctionnaires publics il ne consultait que le mérite, sans s’informer si les prétendans étaient de sang-bleu ou de sang-rouge.

Il était dans les habitudes des pelucones d’obéir passivement aux impulsions de leurs chefs politiques. Les hommes éminens qui avaient fait la force et légitimé l’ancienne domination du parti conservateur avaient disparu pour la plupart. Les familles aristocratiques subissaient à leur insu de nouvelles influences. On a vu que la révolution de 1848 avait mis en ébullition les progressistes chiliens. La réaction de 1850 agit en sens contraire sur les pelucones. Les phrases qu’on faisait à Paris sur le principe d’autorité retentissaient agréablement dans les salons aristocratiques du Nouveau-Monde. La cour de Rome, avec son habileté vigilante, saisissait le jour, l’instant de renouer des négociations avec les pays catholiques, pour obtenir ces concessions dont le concordat autrichien a réalisé l’idéal. Des tentatives de ce genre furent faites jusqu’au Chili. Le clergé chilien avait montré jusqu’alors une sage modération, et son influence avait été souvent efficace pour le maintien de l’ordre. On remarqua tout à coup qu’une certaine portion du clergé, celle qui formait le cercle intime de l’archevêque, mettait en honneur les doctrines ultramontaines : cela coïncidait avec l’apparition d’un certain nombre de jésuites qui revenaient au Chili, sinon comme membres d’une société religieuse, puisque leur corporation est encore sous le coup des anciennes lois qui l’ont supprimée, du moins comme simples particuliers. Accueillis dans la haute société, ils n’eurent pas de