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des directeurs dans la compagnie du chemin de fer entre Santiago et Valparaiso, s’adressa au congrès pour offrir la vente de ses actions au gouvernement. Les erreurs et les maladresses commises dans la direction de cette entreprise n’étaient un mystère pour personne ; les travaux venaient d’être suspendus après une perte de plus de 3 millions de francs, engloutis dans des opérations complètement inutiles. Le gouvernement était le principal actionnaire de cette entreprise[1], mais son intervention dans la gérance de la société était réduite à une seule voix, les cinq autres voix étant attribuées de droit aux souscripteurs qui, ayant pris des actions pour 250,000 francs au moins, seraient choisis par élection dans une assemblée générale des actionnaires.

La compagnie du chemin de fer de Valparaiso, considérée comme une spéculation particulière, en était arrivée à un état de découragement et d’impuissance qui eût fait avorter cette grande entreprise d’utilité nationale, si les pouvoirs publics avaient refusé absolument leur concours. L’incident qui avait éveillé l’attention du congrès à cet égard conduisit au système d’intervention le plus simple. Les chambres autorisèrent le pouvoir exécutif à racheter non-seulement les actions qui lui étaient offertes, mais encore celles qu’il pourrait rassembler, afin que, les possédant toutes, ou du moins en très grande partie, il pût prendre la direction des travaux et donner à l’entreprise une impulsion vraiment utile au pays. Il fut décidé que l’achat des actions serait fait au pair, car bien qu’elles valussent alors un peu moins dans le commerce, il ne parut ni digne ni équitable que l’état spéculât aux dépens des particuliers qui avaient engagé leur fortune dans une entreprise utile et honorable pour le pays, entreprise malheureuse momentanément, mais à laquelle un bel avenir commercial semble réservé[2].

Telle est l’origine de ce rachat du chemin de fer de Valparaiso, qui a fourni le thème principal des diatribes sur le désordre des finances et la dilapidation du trésor. Le ministère avait appuyé la décision des chambres, et comme il se trouvait que l’actionnaire qui avait sollicité la mesure était un des membres dévoués et actifs du parti national, la presse et les députés de l’opposition eurent beau jeu pour donner à l’autorisation octroyée le voile d’une faveur spéciale et d’une scandaleuse dissipation des deniers publics. Pour apprécier cette accusation à sa juste valeur, il suffit de savoir que l’un

  1. Il avait souscrit 2,000 actions, représentant un apport de 10 millions de francs sur un capital de 35 millions.
  2. A la date du 14 mai 1859, quatre-vingt-onze actionnaires seulement, porteurs de 1,376 actions, avaient profité de ce droit de vendre leurs actions au pair : il restait encore 581 actions à racheter.