Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/857

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les meneurs occultes du mouvement étaient parvenus à rallier tous les ennemis de la présidence ; mais déjà la mésintelligence et l’indiscipline commençaient à se glisser dans l’armée coalisée. La jeune phalange, celle des radicaux, entreprit une propagande réformiste au service de laquelle on mit un nouveau journal : l’Assemblée Constituante. Dans cette feuille, rédigée par des jeunes gens éloquens et instruits, mais d’une ardeur qui n’est pas encore tempérée par l’expérience, toutes les lois, tous les règlemens étaient jetés pêle-mêle dans le creuset de la théorie pour y être refondus. La conclusion pratique de ce labeur semblait être celle-ci : que rien de ce qui avait existé antérieurement n’était plus tolérable, et qu’il y avait urgence de tout changer.

La décentralisation municipale occupait dans ces élucubrations la place éminente ; c’était le lien avec lequel les réformistes espéraient attacher les provinces à leur cause. Nous avons vu plus haut que les municipalités chiliennes sont électives et à peu près indépendantes en tout ce qui concerne les intérêts spéciaux de la localité. Toutefois l’approbation du président de la république, agissant avec le concours de son conseil d’état, devient nécessaire dans les cas où les décisions des municipalités comportent des charges fiscales ou des restrictions à la liberté individuelle. Cette faculté de révision, attribuée au président et dont il me semble difficile qu’il abuse, est au contraire une garantie libérale sagement ménagée aux citoyens par la constitution. Les biens et les droits ne peuvent pas être entamés par la seule autorité des corporations qui, dans certaines provinces, ne sont pas toujours composées de gens suffisamment éclairés, ce qui permet de supposer qu’on n’y rencontre pas toujours la droiture ou la circonspection désirable. Dans cet entraînement qui aveugle les partis, les radicaux passaient outre : leurs travaux, calculés de manière à réveiller l’esprit de provincialisme, n’étaient pas dirigés sans quelque succès ; la vanité locale, l’assentiment instinctif de ceux qui se sentent appelés à exercer la prépondérance, recevaient avec empressement ces idées qui tendaient à faire disparaître d’une manière absolue le contrôle du pouvoir central. Le même esprit se manifestait dans la prétendue réorganisation des pouvoirs publics. Le congrès devait tout faire, le pouvoir exécutif rien. À force de réduire l’influence que la charte de 1833 avait voulu assurer au président, on condamnait celui-ci à la nullité.

Encore plus que le gouvernement, les pelucones et le clergé voyaient avec défiance les projets des réformistes : le clergé surtout commençait à trembler pour l’article 5 de la constitution, celui qui interdit tout autre culte que le catholicisme ; mais que faire ? On s’était placé sur une pente où il n’était pas facile de se retenir, et