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JEAN DE LA ROCHE

SECONDE PARTIE.[1]

VI.

Je sortis de Brioude au pas, en homme que la conversation officielle d’un notaire a nécessairement calmé, et qui ne veut pas montrer d’impatience aux curieux d’une petite ville ; mais à peine eus-je gagné la traverse, qu’une rage d’arriver s’empara de moi. Je mis les éperons au ventre de mon cheval, et, malgré une chaleur écrasante, je ne ralentis son allure qu’aux approches du château de M. Butler. Là je me rappelai l’air tranquille et le regard ferme de miss Love, ainsi que toutes mes gaucheries de la première entrevue. Peut-être son père l’avait-il déjà avertie de mes prétentions, peut-être avait-elle déjà prononcé que je lui déplaisais autant que mes devanciers. J’arrivais bouillant et sauvage, j’allais être congédié poliment. La sueur se glaça sur mon front. Je m’aperçus alors de l’état où j’avais mis mon pauvre cheval. Couvert de sang et d’écume, il allait trahir ma folle précipitation, si par malheur je venais à rencontrer, comme la première fois, la famille Butler partant pour la promenade. C’était à peu près la même heure, et ces Anglais devaient avoir des habitudes réglées. Je me hâtai de faire un détour, et très lentement alors je suivis extérieurement la clôture du parc, afin d’entrer par la grille située à l’extrémité. J’avais ainsi tout le temps de rafraîchir ma monture et de rasseoir mes esprits.

  1. Voyez la livraison du 15 octobre.