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dans le commerce entre deux nations, le profit de l’une suppose nécessairement le dommage de l’autre ; Hume donne en deux ou trois pages la démonstration contraire avec une précision et une force qu’il serait difficile de dépasser. Le bon sens écossais avait deviné ce que les deux grandes nations commerçantes, la Hollande et l’Angleterre, ne savaient pas alors, ce que tant d’autres peuples ont encore tant de peine à comprendre aujourd’hui. Un autre ami de Smith, lord Kames, a écrit un livre d’économie rurale, le Gentilhomme fermier, qui fait encore autorité. Lord Kames est un des premiers qui aient profondément étudié les meilleures conditions du bail à ferme ; on lui doit l’invention de la clause qui porte son nom, et qui consiste à faire rembourser au fermier sortant par le propriétaire les améliorations d’un effet permanent introduites dans la ferme. Ces études spéciales ont certainement contribué pour leur part au large ensemble que présente la Richesse des Nations.

Peu après cette publication, Smith fut nommé par le gouvernement anglais, en récompense de ses travaux, commissaire du roi pour les douanes en résidence à Édimbourg ; il a rempli ces fonctions jusqu’à sa mort, arrivée en 1790.


II

L’année 1776 marque une grande date pour l’économie politique et par conséquent pour l’humanité, car elle a vu paraître presque à la fois les édits de Turgot pour l’affranchissement du travail et le livre d’Adam Smith. Qui l’emporterait dans un parallèle entre ces deux illustres contemporains ? Turgot est le plus jeune des deux ; il n’a que trente-neuf ans en 1776, tandis qu’Adam Smith en a quarante-trois, et cependant les actes du premier ont précédé les écrits du second. Le Français s’est heureusement occupé de métaphysique aussi bien que l’Écossais ; il l’a prouvé par l’article Existence de l’Encyclopédie, où commence à poindre la philosophie spiritualiste qui doit succéder à l’école de Condillac. Détourné de bonne heure de la science proprement dite par les travaux de l’administration, il a, tout en donnant ses soins à la malheureuse généralité de Limoges, dont il était l’intendant, trouvé le temps d’écrire son Mémoire sur les prêts d’argent, ses Lettres sur la liberté du commerce des grains, ses Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, œuvres admirables que tous les travaux ultérieurs n’ont pu que répéter, et qu’Adam Smith lui-même n’a pas fait oublier. Il a fait plus : dans un ministère de moins de deux ans, il a hardiment entrepris de pratiquer ses principes, et n’y a échoué qu’à demi, puisque la semence qu’il a jetée doit fructifier quinze ans plus tard.