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déjà concilié en soi-même. C’est encore une autre profonde parole, bien souvent oubliée par les admirateurs aussi bien que par les détracteurs de celui qui l’a prononcée, que « le vrai scribe est semblable au père de famille qui tire de son trésor les choses nouvelles et les choses vieilles. »

Cherchons maintenant à saisir la nouvelle critique religieuse dans l’application même de ses procédés ; le Livre de Job nous offre une occasion favorable à cet examen. Il serait difficile de désigner dans l’Ancien Testament un livre mieux fait pour répandre dans le public éclairé le goût des connaissances religieuses que le Livre de Job, ce curieux poème, légué à l’humanité par un Sémite inconnu, séparé de nous par quelque chose comme deux mille six cents ans. C’est un livre canonique, ce qui lui assure d’avance l’intérêt particulier de tous ceux qui voient dans la Bible la source et la règle de leur foi. C’est un livre hébreu et des beaux temps de la littérature hébraïque : le philologue et l’historien doivent donc en tenir grand compte comme d’un témoin authentique de la langue et de la pensée d’Israël. En même temps il s’élève au-dessus du judaïsme proprement dit ; il est l’organe de la race dite sémitique plutôt que celui d’une fraction déterminée de cette race : il faut par conséquent le ranger parmi les preuves irrécusables sur lesquelles s’appuie l’ethnologie comparée pour affirmer que la race sémitique fut, non tout entière, mais dans sa tendance originelle et dans ses rameaux les plus purs de tout alliage, une race virtuellement monothéiste, et qu’elle constitue par cela même l’arbre vivant sur lequel doit un jour mûrir le fruit de la religion universelle. C’est surtout un livre de transition, et ce caractère très marqué doit spécialement lui concilier l’intérêt de l’historien : il signale un moment de transformation profonde dans les idées religieuses et morales de la race d’où il est sorti. Il est en rupture ouverte avec des croyances auparavant générales dans cette race et consacrées dans mainte partie antérieure de la Bible, en même temps qu’il contient les germes d’où surgiront plus tard de nouveaux développemens de la conscience religieuse. À ce titre, il tient une place très importante dans l’histoire de la formation du dogme hébraïque ; il milite par sa seule existence contre l’idée fausse que la Bible soit un tout homogène et systématisé, présentant d’un bout à l’autre une seule et même doctrine. Au lettré, il offre un des plus brillans spécimens de cette poésie sémitique, à la fois lyrique et sententieuse, riche en couleurs et puritaine de formes, qui exhale pour nous un parfum si prononcé et si bon à respirer de vigueur et de simplicité antiques. Enfin il traite de la douleur, ce problème de tous les jours j et pour que le Livre de Job cessât d’être un des monumens les plus recherchés de