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rien qui ressemble moins à ce que nous appelons une philosophie que la doctrine chrétienne primitive. Il déposa, pour employer une expression biblique, dans les vieilles outres un vin nouveau qui ne pouvait manquer de les faire éclater tôt ou tard. Ce fut le vin généreux du spiritualisme et de la pureté morale, qui tendait naturellement à expulser tout ce qui était charnel et égoïste dans l’ancienne conception. Le christianisme en soi ignore la mort ; comme le Dieu qu’il prêche, il veut que l’homme agisse toujours. Plus d’un enseignement de son fondateur implique la continuité sans interruption de l’existence personnelle après la mort. Cependant, comme il ne fit jamais de cette question un texte de controverse directe, comme les formes de sa pensée, ne dépassaient pas en général celles de la doctrine populaire, l’église commença par adopter la tradition de la synagogue. D’ailleurs l’attente, longtemps entretenue, du très prochain retour du Christ ressuscité et de la rénovation immédiate et radicale de toute chose empêcha même la pensée des premiers chrétiens de s’arrêter sur ce côté de la question. Ils se croyaient tous à la veille du jugement dernier. Qu’importaient quelques jours de sommeil ? Ce fut seulement quand ces quelques jours furent devenus des années que l’on arriva généralement à penser qu’immédiatement après la mort chaque individu recueillait ce qu’il avait semé. Encore la dogmatique traditionnelle continua-t-elle de maintenir l’idée d’un jugement universel et d’une résurrection générale à la fin des temps, sans s’apercevoir qu’il y avait là un mélange de deux conceptions originairement différentes.

Quoi qu’il en soit, il ressort de l’histoire du dogme de la vie future que, sous toutes ses formes, depuis la plus grossière jusqu’à la plus spirituelle, il plonge par ses racines dans le sentiment que la destinée de l’homme n’est pas accomplie pendant la vie présente, et que les tendances fondamentales de son être supposent une prolongation indéfinie de son existence personnelle. L’homme se sent fait pour une autre vie, comme la graine qui germe sous terre, si elle avait conscience d’elle-même, se sentirait faite pour percer le sol qui la recouvre et s’épanouir en plein air. Ce n’est pas une démonstration que cette manière de se représenter la destinée, c’est une intuition à laquelle l’homme arrive dès qu’il atteint un certain point de son développement religieux et moral. Voilà pourquoi le raisonnement sert à très peu de chose pour la fonder et la maintenir. L’évidence de l’immortalité n’existe que pour l’homme capable de sentir que, par son âme, il tend à l’infini, de se dire qu’étant personnellement l’objet de l’amour éternel, sa vie personnelle est entée sur celle de Dieu. C’est donc une vérité de l’ordre moral qui ne peut être certaine que proportionnellement au degré de