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couronné son imprudence, et qu’elle est arrivée heureusement à Minpooree. Quant à ce qui se passe sur le territoire de l’insurrection, je ne saurais t’en parler avec certitude, si contradictoires sont les mille bruits qui volent dans l’air; mais tu peux compter en tout état de cause sur ma prudence. Je veux revoir la France, mes vieux amis, te serrer dans mes bras, si Dieu me favorise, dans trois mois en un mot être à Mont pour l’ouverture de la chasse. Tiens-toi pour averti cependant que si Miss (à propos de Miss, Joseph a-t-il pu la déshabituer de donner des poussées aux fièvres?), tiens-toi pour averti, dis-je, que si Miss me fait lever d’une luzerne une compagnie de cipayes, je ne te promets point de ne pas faire coup double. Trêve de plaisanteries, je redeviens sérieux comme le sujet le demande. Résolu comme je le suis à ne pas affronter des dangers inutiles, je dois me laisser guider dans mes plans de retour par les hommes qui connaissent le pays, et il a été convenu entre le commissioner et moi que je ne quitterais Nawabgunge que lorsqu’il m’aurait donné le signal du départ. Je te réitère ma parole que rien ne saurait me faire départir de cette prudente résolution. Distribue autour de toi tendresses et souvenirs. Je t’embrasse.

HENRI.

LE MÊME AU MÊME.

Nawabgunge, 28 juin 1857.

Il me faut, mon cher Charles, rassembler tout mon courage pour te donner de mes nouvelles au milieu de la profonde affliction dont mon cœur est accablé. Hier nous avons appris dans ses détails les plus poignans le crime exécrable dont la station de Minpooree a été le théâtre. Toute l’aimable famille dont je t’ai entretenu si longuement et à tant de reprises a péri dans une de ces scènes sanglantes dont nul ne pourra lire le récit d’un œil sec.

Depuis près de quinze jours, des bruits fugitifs, dont il était impossible de découvrir la source, annonçaient que le régiment irrégulier en garnison à Minpooree s’était révolté et avait massacré les Européens de la station. A plusieurs reprises, les amis d’Hammerton, justement alarmés, avaient demandé au brigadier d’organiser une petite expédition destinée à délivrer, s’il en était temps encore, le major et les siens. Lié par des ordres formels qui lui prescrivent de ne pas distraire, sous aucun prétexte, un seul homme de la faible garnison de Nawabgunge, point stratégique de la plus haute importance qui commande les communications entre le Gange et l’Inde centrale, le brigadier n’avait pu se rendre aux instances des amis d’Hammerton. Il y a quelques jours, la nouvelle de la catastrophe de Minpooree avait pris une telle consistance que le commissioner, ami d’enfance d’Hammerton, se décida à envoyer un émissaire près