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Jimmy,... boy. Le capitaine Smith, homme au cœur hien placé, a compris qu’envoyer cet enfant à Calcutta, c’était renoncer à tout jamais à établir son identité. Aussi l’a-t-il pris à sa charge et placé en pension chez sa sœur, qui habite Dinajepore, station voisine de Bénarès. L’enfant se trouve en ce moment dans cet asile, et le capitaine Smith m’a promis que nous irions lui rendre visite à notre passage à Dinajepore.

Non pas, mon cher Charles, que je puisse croire pour un instant que ce pauvre abandonné soit le fils de mes malheureux amis de Minpooree. La révolte de Minpooree a éclaté le 12 juin; une distance de près de cent lieues sépare Minpooree de l’endroit où l’enfant a été recueilli. Cent lieues en moins de six jours, sous un ciel inclément, au milieu de jongles impénétrables, une pareille entreprise dépasse les forces humaines. Ces simples observations te disent assez que je ne me fais pas de vaines illusions au sujet de cet enfant... Et cependant ce récit a versé un baume bienfaisant sur les blessures de mon cœur. Qui m’assure qu’un ange miséricordieux n’a pas aussi couvert de son aile le petit ami du frenchman sahib?

Flat-Kalee, en vue de Dinajepore, 5 septembre 1857.

Que je consigne ici sans plus tarder, et dans tous ses détails, le récit d’une des plus heureuses journées de ma vie! Hier, à cinq heures, le steamer accostait le ghant de Dinajepore, et je descendais à terre, en compagnie du capitaine Smith, pour aller rendre visite à sa sœur. Déjà mistress Harry avait été prévenue de l’arrivée de son frère, et nous la trouvâmes au ghaut, où toute la population blanche de la station s’était portée à notre rencontre. La tristesse peinte sur tous les visages disait assez les anxiétés au milieu desquelles la petite colonie européenne avait vécu depuis plus de trois mois. Vingt fois Smith fut obligé de répéter les heureuses nouvelles des récentes victoires d’Havelock avant que l’on nous permît de continuer notre route et de rejoindre mistress Harry au bungalow, où, les premiers complimens de bienvenue échangés, elle nous avait précédés. Depuis le matin, une agitation extraordinaire s’était emparée de mes esprits. J’avais eu beau comparer les dates et les distances, me prouver qu’il était matériellement impossible qu’un homme parti de Minpooree le fatal 12 juin eût pu rejoindre le 18 le steamer dans sa course vers Allahabad : ces froids raisonnemens n’étaient point parvenus à étouffer les secrètes espérances de mon cœur. Aussi, lorsque j’arrivai à la porte de la chambre où les enfans prenaient leur repas du soir, une sorte de défaillance paralysa mes jambes, et je m’arrêtai sous la verandah pour ne pas divulguer un trouble qui me semblait puéril. — Entrez donc ! me cria le capitaine