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ne sont pourtant point officielles, et toute sorte d’incertitudes se sont aussitôt attachées aux solutions espérées. Un véhément débat de la chambre des lords a saisi en quelque sorte l’Europe de la question de Savoie ; aujourd’hui même la chambre des communes devait la discuter à propos d’une motion annoncée de M. Kinglake. Un des membres les plus éminens de la pairie anglaise, lord Grey, a exprimé le regret qu’avant de signer le traité de commerce, le gouvernement britannique n’eût pas demandé des assurances positives sur les projets que l’on prête à notre gouvernement à l’égard de la Savoie. À en juger par le langage de quelques hommes d’état anglais, on dirait que ce prétexte de la Savoie va être exploité comme une clause résolutoire contre les projets politiques qu’on eût crus le mieux arrêtés. Une réserve fondée sur un mystérieux sous-entendu est attachée pour ainsi dire à toutes les résolutions dont on attendait l’accomplissement.

M. Disraeli déclare nettement que, dans le jugement que les communes auront à porter sur le budget de M. Gladstone, les considérations politiques doivent dominer les considérations financières. Ce n’est point seulement le sort du traité de commerce que compromettent auprès de certains esprits ces singulières incertitudes. Des pessimistes, dont les impressions sont reflétées par la presse étrangère, y veulent voir une nouvelle source de confusion pour la conduite des affaires italiennes. Suivant eux, les relations de la France et de la Sardaigne seraient refroidies par les divergences de vues qu’aurait fait éclater entre les cabinets de Paris et de Turin la question de la Savoie et du comté de Nice. La réponse de l’Autriche, celle de la Russie, aux ouvertures que la France leur a faites en leur communiquant les quatre propositions de lord John Russell, ne sont pas encore connues. La France elle-même ne s’est pas encore engagée vis-à-vis de celle de ces propositions qui abandonne à l’Italie du centre la liberté de prononcer sur son futur état politique, et qui l’autorise implicitement à s’annexer au Piémont. Suivant les défians dont nous répétons ici les doutes, il n’y a encore sur ce point qu’une négociation ouverte : la France n’a pas dit son dernier mot, et, elle aussi, elle demeure libre de subordonner sa décision finale aux éventualités qui pourront se produire. Ces craintes sont peut-être par trop subtiles ; elles sont probablement absurdes, lorsqu’elles vont jusqu’à supposer un retour de la France à la politique de Villafranca et de Zurich. Elles peignent pourtant le caractère de la situation qui les inspire. Il y a certainement un lien secret, un obscur sine quel non, un mystérieux je ne sais quoi, par lequel les questions à cette heure engagées sont unies en une mutuelle dépendance. Nous ne voudrions pas croire que ce lien fût l’affaire de Savoie, si évidemment secondaire, lorsqu’on la compare aux grandes questions dont on prétend qu’elle peut compromettre l’issue. Quoi qu’il en soit, dans peu de jours, ces ténèbres, et les fantômes qui les peuplent, se dissiperont ; les grandes discussions qui vont s’ouvrir à la chambre des communes sur le traité de commerce et le budget de M. Gladstone verseront la lumière à flots sur l’état réel de l’Europe ; les réponses de l’Autriche et de la Russie seront arrivées. Mais l’on voit combien il est fâcheux pour nous d’être privés du bénéfice de ce court délai, et d’être séparés même de si peu du moment où les choses doivent au grand jour reprendre le droit chemin.

Du moins, avant de nous embarrasser dans les rapprochemens et les con-