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pour ainsi dire et sa reproduction. Il fallait songer, non à trouver de l’autre côté de la Méditerranée des Indes ou même des Antilles, mais à y organiser de toute pièce et de propos délibéré de nouveaux départemens français.

Or de toutes les entreprises coloniales on peut bien dire que celle-là est assurément la plus grande, mais aussi la plus malaisée. Le renom, le profit en sont peut-être sinon plus éclatans, au moins plus durables que d’aucune autre, mais l’enfantement aussi en est plus laborieux. Les colonies purement commerciales, promptes à naître, sont aussi promptes à périr ; elles sont sujettes aux intermittences, aux oscillations, à la mobilité continue du commerce lui-même : de nouvelles voies ouvertes, une nouvelle impulsion donnée soit à la navigation, soit à l’industrie, font parfois tarir la source qui les alimente ; elles périssent quand le courant qui leur apportait la vie se détourne et les abandonne. Au contraire, l’établissement d’une population de travailleurs ruraux sur une rive éloignée, quand une fois il est accompli et a pris racine, est un résultat permanent que le temps, loin d’affaiblir, consacre et développe. C’est un être nouveau auquel la mère-patrie a donné le jour, et qui, s’il ne lui en témoigne pas toujours sa reconnaissance par sa soumission, lui procure au moins l’avantage d’étendre l’influence de ses mœurs, de sa langue et de ses exemples, et de perpétuer l’éclat de son nom à travers les âges. La récompense est donc grande, quoi qu’il arrive ; mais la peine, il faut le dire, est bien en proportion de la récompense. Pour soulever ainsi des populations agricoles et les transporter à distance, il faut un levier qui souvent manque et plus souvent encore se brise entre les mains d’un gouvernement. Il faut un concours de conditions assez rares à trouver, et dans le sein de la contrée qui veut envoyer la colonie au dehors, et à la surface du pays qui est destiné à lui servir de réceptacle.

Il faut, avant tout, qu’il se rencontre chez la nation colonisatrice une pépinière suffisamment abondante de sujets propres à l’émigration. On s’imagine trop aisément en France que tout le monde est bon à faire un colon, et principalement ceux qui ne sont pas bons à autre chose. Dès qu’un homme se trouve mal chez lui, il croit que cela suffit pour qu’il soit bien ailleurs. Un homme sans argent et hors d’état d’en acquérir, sans ressources et sans valeur, un mauvais sujet qui n’a rien, c’est celui-là qu’en France on regarde comme naturellement destiné à émigrer. À merveille, s’il ne s’agit que de s’en délivrer pour n’en plus entendre parler ; mais si l’on prend le moindre souci de ce que l’émigration devient quand une fois elle a franchi les mers, il faut bien reconnaître que le métier d’émigrant, un des plus rudes que puisse affronter l’activité humaine, exige,