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entre des populations industrielles et rurales ; dans une contrée surtout où il n’y a ni grande usine, ni manufacture, est évidemment anormale. Elle ne s’explique que par un fait plus anormal encore, à savoir la présence d’une immense armée d’occupation, qui a mille besoins à satisfaire, et sert de débouché à toute une industrie d’aventure mobile comme elle. Les touristes qui ont représenté la colonisation actuelle de l’Algérie comme consistant tout entière dans la cantine de l’armée française ont fait un tableau sans doute fort exagéré, et ont eu le grand tort de passer en raillant devant beaucoup de travaux sérieux et modestes ; mais les caricatures les plus inconvenantes n’ont de succès que parce qu’elles mettent grotesquement en saillie un trait véritablement défectueux de l’original.

Personne ne conteste que tout cela ne soit triste et insuffisant. C’est un résultat sans rapport avec les efforts faits, les années écoulées, les nobles vies sacrifiées, sans comparaison possible avec les succès obtenus pendant le même laps de temps par d’autres nations dans d’autres colonisations moins coûteuses, quoique plus lointaines, et payées de bien moins de sang. A qui ou à quoi faut-il imputer ce désappointement ? La faute en est-elle à la nature même des choses, à la difficulté de l’entreprise ou à la maladresse de l’administration ? Là est tout le nœud du débat entre l’ancienne administration et ses adversaires. L’ancienne administration, du moins par l’organe de M. le colonel Ribourt, ne conteste pas qu’elle n’a pas fait tout ce que la France espérait ; mais elle assure qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait et tout ce qui se pouvait, et que l’avenir fera le reste. Ses adversaires prétendent que, bien loin de faire, elle a tout empêché, et qu’à persévérer dans la même voie, l’avenir ne fera qu’empirer le présent, et la colonie meurt au lieu de croître.

Nous aurions été bien mal compris, si les raisons que l’administration ancienne peut faire valoir pour sa justification ne se présentaient ici d’elles-mêmes à l’esprit de tous nos lecteurs, car elles ne sont guère que la répétition des considérations mêmes dont nous avons pris à tâche de faire le tableau dans la première partie de ce travail. La colonisation est si peu avancée, dit en substance l’ancienne administration, en premier lieu, parce que la France envoie très peu de colons, et surtout très peu de colons pourvus des ressources matérielles et morales qui conviennent à ce genre d’établissement. Ce ne peut être la faute de l’administration coloniale si les gens en France n’aiment guère à se déplacer, et surtout s’ils répugnent à s’aventurer là où ils n’ont pas toutes les protections et aussi toutes les lisières de la société. Que faire par exemple avec des colons qui, comme le raconte plaisamment M. le colonel Ribourt, écrivent avant de se mettre en campagne pour demander s’ils trouveront au