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corriger, si telle qu’elle est cette terre, et dans l’état où elle se présente, elle était au moins livrée avec abondance et facile à obtenir. Malheureusement, après avoir dévasté la terre, les Arabes (au point de vue de la colonisation, c’est là le pire) la détiennent encore. D’après de récens documens officiels, ils sont deux millions environ, et encore n’habitent-ils pas tous la région cultivable ou colonisable. Il faut retrancher les tribus du désert et les Maures commerçans des villes, les anciennes populations kabyles qui vivent réfugiées sur les hautes cimes de montagnes. C’est environ onze ou douze cent mille hommes qui restent répandus dans les vallées, dans les plaines, et jusqu’à mi-côte des pentes de l’Atlas. À eux seuls, ces douze cent mille hommes, à peu près la population d’un des grands départemens de la France, n’occupent pas beaucoup moins de onze à douze millions d’hectares, c’est-à-dire la moitié du sol cultivé de l’Angleterre et le quart de celui de France. Ils occupent tout cela, chose assez naturelle, puisque jusqu’à ces dernières années personne n’était là pour le leur contester ; mais, chose plus singulière, c’est de tout cela à peu près qu’ils ont besoin pour vivre. Avec leur mode de culture et d’existence, chaque tribu arabe a besoin pour subsister, et encore à de très pauvres conditions, de rayonner sur une sphère immense de territoire. C’est ici la conséquence inévitable d’une propriété possédée à titre collectif, jointe à une vie à peu près nomade. À très peu d’exceptions près, le territoire appartenant à chaque tribu est possédé indivis par la tribu tout entière, ou par des fractions de tribu. À peine les chefs les plus considérables ont-ils quelques biens propres : la différence de fortune entre les riches et les pauvres ne consiste pas habituellement dans la propriété d’une plus ou moins grande quantité de terres, mais dans le droit de prélever une plus ou moins grande part du produit de l’immeuble commun, ou d’y faire paître un plus ou moins grand nombre de troupeaux. Là même où, à l’origine, des propriétés particulières ont existé et subsistent encore en droit, l’usage d’une vie errante, les abus d’une sorte de féodalité envahissante, la confusion des titres, ont amené de véritables habitudes de communauté. Ce communisme pratique a produit ses effets naturels. La terre n’appartenant à personne, personne aussi ne s’ingénie ni ne se fatigue à lui faire produire tout ce qu’elle peut rendre. Il en faut par conséquent trois ou quatre fois plus pour nourrir le même nombre de personnes que sous le régime de la propriété individuelle. Tous les communaux, à cet égard, jouissent auprès des économistes d’une réputation bien méritée. Les propriétés de nos communes de France elles-mêmes, au sein de notre société, où tout vise à l’économie, n’échappent point à cette règle fatale : ce sont en général des landes où à peine quelques troupeaux peuvent trouver leur subsistance,