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la marine française, question qu’on s’étudiait à éluder parce que personne ne se sentait le courage de la résoudre ; mais peut-être eût-on plus admiré encore le zèle et la constance de M. le baron Portal, si l’on eût bien su apprécier dans quelles conditions il recevait l’établissement qu’il avait entrepris de sauver.

Le traité du 30 mai 1814 avait stipulé que les bâtimens de guerre, l’artillerie, les munitions navales que renfermaient les places maritimes dont la remise nous était imposée, seraient partagés entre la France et les états auxquels ces places allaient appartenir, dans la proportion de deux tiers pour la France, un tiers pour les états étrangers. Les vaisseaux appartenant à la Hollande, nommément la flotte du Texel, avaient été intégralement dévolus au royaume des Pays-Bas. Après ces durs sacrifices, il nous restait encore soixante et onze vaisseaux et quarante et une frégates, tant à flot que sur les chantiers. Malheureusement la plupart de ces bâtimens avaient été construits avec des bois mal assortis et trop fraîchement coupés. C’était, dans une certaine mesure, cette flotte du vice-roi d’Égypte, si florissante en 1840 et dont il ne reste plus aujourd’hui un navire. En principe, aucune espèce de bois ne devrait être mise en œuvre avant trois ans d’abattage. Le bois qu’on fait servir trop tôt aux constructions navales fermente, se corrompt et se détériore promptement ; mais en temps de guerre il faut avant tout pourvoir aux besoins impérieux du moment. Aussi les flottes improvisées dans ces conditions d’urgence ont-elles généralement peu de durée.

Les charges qu’une double invasion avait fait peser sur la France avaient obligé les chambres et le gouvernement à réduire au strict nécessaire la dotation de la marine. Les crédits alloués au ministère n’avaient pas, depuis 1815, dépassé en moyenne 44 millions. Sous l’ancienne monarchie, dans les années de paix, de 1784 à 1789, la marine en avait reçu 64, qui, eu égard à la différence des prix de matière et de main-d’œuvre, représentaient en 1817 plus de 89 millions. Un vaisseau de 80 canons ne coûtait en effet, avant la révolution, que 1,400,000 francs ; il coûtait 2 millions dans les premières années de la restauration. Il coûterait le double aujourd’hui, si on lui donnait une machine de 8 ou 900 chevaux. Il est bon, comme on voit, de s’entendre quand on veut comparer le budget d’une époque à celui d’une autre. Les fonds manquant pour entretenir notre matériel naval, le dépérissement de la flotte marchait à grands pas. A la fin de 1817, on ne comptait plus que trente et un vaisseaux et vingt-neuf frégates à flot qui fussent encore en état de tenir la mer ; quatorze vaisseaux étaient en construction : on devait mettre six ans à les achever. Or dans six ans dix-huit vaisseaux au moins auraient disparu. Construisit-on deux vaisseaux par an, — et c’était à